Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
mémoires d’un communard

— Non pas ; nulle part vous ne seriez mieux qu’ici… et puis, que voulez-vous qu’on fasse à une pauvre veuve comme moi ? Restez, monsieur Allemane, je vous en prie.

Je lui fis observer qu’on me donnant asile elle risquait d’être arrêtée, voire même massacrée ; rien ne la put faire revenir sur sa résolution, et j’acceptai l’hospitalité qui m’était si vaillamment offerte.

Cette journée s’écoula sans incident et je pus prendre un peu de repos. Le calme revenu, je songeai à quitter le quartier et à délivrer de ma présence cette si dévouée famille. Mais, au premier mot, on me fit observer que ma tentative était impossible, que la circulation était interdite et que je ne pourrais franchir les ponts ; qu’il me fallait attendre un moment plus propice et que, du reste, je m’inquiétais à tort ; qu’ils n’avaient rien à craindre et que nul, dans la maison, ne soupçonnait ma présence. On ajouta qu’on avait avisé ma mère de la situation et qu’il n’y avait qu’à prendre un peu de patience.

Je dois avouer que je me morfondais d’impatience et d’inquiétude. Je regrettais de m’être réfugié chez ces braves personnes, car je comprenais que la moindre indiscrétion, le plus petit indice pouvaient provoquer, pour le moins, leur arrestation. Au moindre bruit insolite, j’éprouvais un frémissement involontaire.

Vers la fin de la journée, je perçois comme un tapage ; on monte l’escalier bruyamment, et je comprends qu’un certain nombre de personnes gravissent les trois étages qui me séparent de la rue.

Des crosses résonnent, puis un cliquetis d’armes ; plus de doute : ce sont des soldats qui viennent s’emparer de ma personne. En moins de temps que je n’en mets à l’écrire, je calculai les conséquences qui résulteraient de ma reddition volontaire ou de ma résistance, et je conclus — me montré-je égoïste ? — que le mieux était encore de me défendre.

Le jeune Georges, dont j’occupais le cabinet, séparé de l’appartement familial par un long couloir, m’avait remis le sabre d’un cavalier de la garde de Paris, provenant de la caserne de la Cité et enlevé par l’enfant dans la journée du 19 mars. Je le tirai du fourreau et