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des barricades au bagne

mère et, par cette dernière, de mon frère, que je croyais tombé dans la bataille. Il m’attendait et allait m’envoyer un ami.

Après qu’elle eut narré les péripéties de ses recherches à travers les cadavres amoncelés autour du Panthéon, où, à chaque instant, elle craignait de découvrir le mien, elle raconta les incidents de la rue Boutebrie : les obus achevant les blessés, les infirmiers et infirmières fusillés, son arrestation et comparution devant les « bonnes sœurs », forcées de reconnaître la bonne tenue, la régularité de sa gestion.

Le temps s’écoutait rapide, et nous dûmes songer à la séparation. Le cœur serré, je lui fis mes adieux, car j’ignorais les périls qu’il me faudrait encore traverser ; mais, vaillante au delà de toute expression, elle comprit qu’elle devait éviter tout ce qui pouvait amollir mon courage, et nous nous quittâmes sans qu’un geste, une parole de cette stoïque enfant de dix-sept ans, vinssent exprimer la plus légère défaillance.

Quelques lointains que soient déjà les jours où notre cher Paris dut subir la plus épouvantable des terreurs, ce n’est pas sans une légitime fierté que je relate, en cette heure paisible, l’attitude si noble de celle qui m’honora de son amour, et dont le doux souvenir, la résolution naturelle me soutiendront à travers les plus dures épreuves.

Quelques heures après, ainsi qu’il en avait été décidé, M. Gomot, demeurant à Belleville, rue Levert, quelque peu apparenté à mon frère, vint me chercher, muni d’un double laissez-passer, à lui délivré en sa qualité de pompier volontaire ; ce qui nous permit de franchir les barricades à demi-démolies et à échapper aux mille dangers qui attendaient ceux qui se hasardaient au dehors depuis que l’ « ordre » était triomphant.

Je ne saurais dire combien notre course parmi les obstacles encombrant les rues, et les incendies allumés par les obus nous demanda de temps, car, à chaque minute, nous étions empêchés en notre marche par les troupes s’échelonnant du centre à la périphérie, par la rencontre de prisonniers fortement entourés, par les arrêts devant les incendies ou les barricades, auxquels les passants étaient assujettis.