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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/170

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des barricades au bagne

brigadier, tout joyeux de ma détresse, me lint ce joli discours, qui vaut la peine d’être relaté :

— Eh bien, mon gaillard, te voila bien avancé ! Toi et les camarades vous avez fait une guerre au couteau à l’Empire pour avoir la République ; j’espère qu’à présent vous êtes contents ?…

» Tes amis et toi vous vous plaigniez de la police impériale ; or, vous devez être satisfaits… Maintenant, non seulement nous avons un sabre, mais encore un révolver, un chassepot… Tu vois que la République a su très bien faire les choses ! Crie donc vive la République ! communard… »

Et le brigadier et ses hommes s’esclaffaient à mes dépens.

Vers sept heures on vint me mettre les menottes et, quelques instants après, avec M. Gomot et mon frère, j’étais placé au milieu d’un peloton de soldats et conduit au Dépôt. Le surlendemain, au nombre de trois cents environ, nous prenions le chemin de Versailles, escortés, cette fois, par des gendarmes.

Notre convoi fut envoyé à l’Orangerie, dont les vastes serres avaient été converties en dépôt de prisonniers. En pénétrant dans le jardin, mes regards se portèrent vers la terrasse qui le surplombe, et je me remémorai, non sans quelque tristesse, l’entrevue du mois de mars avec Millière et Salles. Le premier était tombé, frappé par les balles de la soldatesque, malgré qu’il ne l’eût pas combattue ; quand au second, qu’était-il devenu ? Et moi, qu’allais-je aussi devenir ?

Mais voici le commandant de cette prison improvisée ; deux officiers et quelques gendarmes l’entourent. Il regarde défiler ses nouveaux hôtes, attachés cinq par cinq ; son faciès bestial n’annonce rien de bon, et il apparaît à la plupart comme un loup qui verrait passer devant lui un troupeau de moutons.

L’Orangerie regorge de prisonniers ; elle est devenue une véritable fourmilière humaine ; mais, quelque nombreux que soient déjà les détenus, il faut, bon gré mal gré, que les nouveaux arrivants y trouvent leur place. Des milliers d’hommes y sont entassés dans des conditions abominables, et si des animaux étaient soumis à un pareil régime, on en verrait bientôt la fin :