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des barricades au bagne

s’écriaient de pauvres gens que ses airs paternels avaient su tromper, et ils n’avaient rien de caché pour lui.

Combien de communards, arrêtés sous un faux nom, perdus dans la foule des détenus furent ainsi découverts et dénoncés !

L’Orangerie avait aussi ses prêtres révolutionnaires, émules du « communard Jésus-Christ ». Un certain Guérin, que j’avais vu durant la lutte aller de barricade en barricade, et que j’avais prié d’aller porter ses consolations ailleurs, était du nombre. Il pérorait, jouant au martyr, se disant victime des communards et des versaillais. Cet histrion fut bientôt réduit au silence, et il ne tarda pas à disparaître : l’Eglise avait rappelé au bercail cette brebis égarée ( ?)

Cependant, la dysenterie faisait d’assez grands ravages et, quatre ou cinq jours après mon arrivée, cette douloureuse maladie m’atteignait. Aucun soin ne m’étant donné, mon état s’aggrava rapidement, et mon frère se désespérait. Or, voici qu’un garde municipal vient appeler un prisonnier, et mon frère reconnaît en ce garde un nommé Vital Bordère, un compatriote qui, durant des années, a pris pension chez nos parents. Il s’approche de lui et se fait reconnaître. Quoique surpris, le garde se montre assez amical et lui demande ce que je suis devenu. Mon frère lui expose la situation.

— Ah ! s’écrie le garde, ton frère est également ici ! On m’avait pourtant dit qu’il avait été tué ; mais, puisqu’il en est ainsi, je vais essayer de lui être utile.

Puis il ajouta :

— Alors, ce pauvre Jean est atteint de la dysenterie ! Eh bien, je vais lui faire parvenir un peu de bouillon, en attendant mieux ; seulement, fais en sorte que l’on ne puisse soupçonner que nous nous connaissons.

Et le misérable, heureux de l’aubaine, s’éloigna pour aller instruire le commandant de l’Orangerie non seulement de ma présence, mais du rôle que j’avais joué au Cinquième arrondissement.

A peine un quart-d’heure s’était-il écoulé qu’un sous-ordre du commandant, un brigadier de la garde de Paris, que les prisonniers avaient surnommé La Trique, escorté de trois autres gardes, fendait la foule des détenus et appelait les deux frères Allemane.