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des barricades au bagne

lui, me narra qu’à la suite de leur évasion, Lagrange et lui s’étaient rendus rue de Ponthieu, au domicile d’une de ses maîtresses ; qu’ils avaient fait une noce carabinée et s’étaient ensuite séparés. Qu’il avait appris par les journaux que Lagrange était venu se constituer prisonnier aux Grandes-Ecuries : la Préfecture ayant refusé de le recevoir, les commissariats de police de l’arrêter[1]. Qu’il avait appris de même et sa condamnation à mort et sa fusillade à Satory.

— Quant à moi, poursuivit Langelle, j’ai rôdé dans Paris ; puis, mes dernières ressources épuisées, j’ai pensé que le meilleur moyen d’éviter le poteau était encore de me faire arrêter et condamner sous un faux nom. Je n’ignorais pas que je jouais gros jeu, mais, bast ! je n’avais guère le choix. J’entrai donc dans un petit débit de la rue de Montreuil, au moment où la patronne se trouvait dans l’arrière-boutique ; je pénétrai dans le comptoir et secouai fortement le tiroir-caisse. Au bruit, la maîtresse de la maison se retourna et, m’apercevant, s’élança vers la rue et se mit à crier : « Au voleur ! »

On s’attroupa devant la boutique ; des agents accoururent et on m’arrêta, d’autant plus facilement que je n’opposai aucune résistance.

Au commissariat, je déclinai un nom d’emprunt et ne fis nulle difficulté pour dire que le vol était mon unique moyen d’existence. On m’expédia à la Préfecture de police et des agents de la sûreté me promenèrent dans Bercy, où j’avais déclaré être né, sachant que les papiers et registres de l’état-civil de cette mairie avaient été détruits par l’incendie. Les agents essayèrent de me faire parler, mais ils perdirent leur temps : j’avais trop intérêt à me taire.

Détenu à Mazas pendant près de quatre mois, je viens d’être condamné à cinq ans de prison. Dans cinq ans, on ne pensera plus à moi, et je me débrouillerai…

— Et moi, à cause de vous et de Lagrange, je vais au bagne à perpétuité !… Savez-vous que votre confidence m’est plutôt désagréable : si le hasard faisait que quel-

  1. Le dualisme existant entre l’administration civile et l’administration militaire, explique l’aventure de Lagrange.