on nous laisse au rama, puis le commissaire du bagne nous fait appeler, au nombre d’une dizaine.
Je fais partie des premiers qui sont interrogés ; je réponds que, couché depuis environ un quart d’heure, je dormais au moment où quelqu’un avait pu crier ; que j’ignorais absolument et ce qui avait été crié et celui ou ceux qui l’avaient fait, d’autant que cela s’était confondu, pour moi, avec le bruit du canon, lequel m’avait réveillé en sursaut.
— J’étais à peu près fixé sur votre réponse… Mettez-vous de côté !
— Et vous ? Le commissaire s’adressait à ce moment au citoyen Lisbonne.
— Oh ! moi, j’ai crié de toutes mes forces, dit Lisbonne.
— Ah ! ah ! vous avouez ; et qu’avez-vous crié ?
— J’ai crié : « Vive monsieur le commissaire ! »
Ce dernier demeura comme abasourdi par cette réponse à la Gavroche ; quant à l’ex-colonel de la Commune, appuyé sur ses deux béquilles, il gardait un sérieux qui, étant donnée la circonstance, eût fait s’esclaffer un mourant ; malgré la gravité de la situation, nous nous tenions à quatre pour ne pas éclater.
— F…-moi le camp ! s’écria, enfin, le commissaire, chez lequel la colère et le rire se livraient combat.
Nous sortîmes en nous tenant les côtes. Seul, Lisbonne demeura imperturbable, tant que nous fûmes hors de la Casemate.
Le lendemain de cet interrogatoire, c’est-à-dire le 25 janvier, un adjudant s’avança jusqu’à la seconde grille et nous cria :
— Les hommes en « salle », à la forge !
A la file, et au nombre d’une cinquantaine, nous sortîmes. Au dehors, de nombreux rondiers nous encadrèrent. Parvenus à la forge, chacun de nous dut s’étendre ainsi que le jour où on l’avait ferré. Nos chaînes tombèrent, mais la manille, ou anneau du bagne, fit place à une autre un peu moins lourde, mais tout aussi gênante.
J’eus le regret de ne pouvoir serrer la main au forgeron, à l’homme de cœur et de dévouement qui, sans
