Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
des barricades au bagne

les deux surveillants nous ordonnent de réintégrer la cage : le travail pour lequel nous avions été rassemblés était remis à plus tard. Je suis à me demander encore comment il se fit que mes mouvements insolites demeurèrent inaperçus.

Au matin, le Rhin levait l’ancre et, le cœur gros, je voyais s’éloigner, puis disparaître, avec la dernière chance de délivrance, la terre espagnole, en ce moment en ébullition et d’où nous était parvenu le dernier écho républicain, si mal accueilli par ces messieurs du « grand corps ».

Nous voici à Dakar ; un soleil de plomb darde sur les gens et les choses ses rayons de feu. De nombreuses pirogues entourent notre prison flottante et toute une légion de négrillons se précipitent dans la mer pour y recueillir la menue monnaie que les passagers se plaisent à y jeter. Les noirs plongeurs manifestent leur joie par des cris gutturaux et en montrant les sous repris à l’Océan. Et le jeu continue pendant de longues heures, durant que des « mercantis » montent à bord, munis de toutes sortes de provisions et d’objets de fabrication indigène.

On nous autorise à faire quelques achats, mais par l’intermédiaire des surveillants militaires. Ceux qui possèdent un petit pécule s’inscrivent et le commissaire du bord réglera la dépense. Cette escale devant être la seule durant cette course de six mille lieues à travers les mers, on nous permet d’écrire à nos parents.

La consigne la plus sévère règne durant le mouillage. Les sabords sont hermétiquement clos et les surveillants sont autorisés à se servir de leurs revolvers à la moindre incartade des condamnés, en même temps que les sentinelles sont doublées. Toute tentative d’évasion doit entraîner la mort, et les pièces, qui menacent les hommes enfermés dans les cages, sont prêtes à les décimer à la moindre velléité de révolte. On se croirait au camp de Satory ou à la Fosse-aux-Lions.

Nous avions hâte de quitter ce lieu, où la nature se montrait aussi inclémente que nos geôliers.

J’écrivis trois lettres : la première à ma mère, la seconde à ma compagne, la troisième à mon ami Pawly, ouvrier typographe. J’aurais désiré écrire à mon frère, mais j’ignorais s’il était encore en France.