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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/59

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mémoires d’un communard

Cependant, il n’était pas possible que les choses n’allassent en s’aggravant, et il me fallait prendre une décision prompte, de nature à dérouter la police, si je ne voulais tomber avant peu entre ses mains.

D’autre part, le rôle du Comité central, par le fait même de la nomination des membres de la Commune, devait être considéré comme terminé et, étant donnés les atermoiements, je devais considérer mon projet comme ruiné. Il ne me restait donc qu’à quitter Versailles, devenue pour moi inhabitable, où j’avais un instant nourri la pensée de frapper les vrais coupables, ceux qui ne reculaient pas devant ce crime atroce : immoler des milliers de républicains et de socialistes afin de pouvoir régner sur une nation d’esclaves.

Redevenu très calme, j’avais endossé mes effets de travail et m’occupais à remplir mes casses, tout en songeant aux miens : à ma mère, si bonne et si tourmentée à cause de moi ; à mon jeune enfant, à mon dévoué et vaillant frère, à tous ceux qui m’aimaient et m’avaient déconseillé un projet aussi téméraire : « Les gens de l’Hôtel de Ville ne te comprendront pas ; tu iras vainement risquer ta vie. Demeure avec nous ; ici, du moins, tu pourras défendre la cause avec quelque profit pour l’avenir… »

Telles avaient été leurs trop justes réflexions.

Et je n’avais voulu rien entendre, tourmenté que j’étais par cette idée fixe : Paris est incapable de vaincre si quelque coup d’audace ne lui vient en aide et ne l’oblige à aller jusqu’au bout de son devoir révolutionnaire.

Devant l’abandon dont j’étais victime, je compris la folie de mon emballement et je commençais à m’abreuver à la coupe des déceptions : ce qui est et sera longtemps encore le lot réservé aux enthousiastes partisans de la Révolution sociale.

Je ne quittai l’imprimerie que le lendemain, vers trois heures du matin. Deux camarades, natifs de Versailles, les frères C…, me conduisirent chez leurs parents, lesquels habitaient près de la gare des Chantiers.