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mémoires d’un communard

Néanmoins, mes deux compagnons de voyage ne m’inspiraient qu’une très médiocre confiance. Les ayant examinés à la dérobée, ils me parurent s’occuper de moi avec un certain intérêt. Je me tins de plus en plus sur mes gardes.

Brusquement, l’un d’eux, un gros bourru aux fortes moustaches, ayant les doigts surchargés de bagues, tel un trafiquant de reconnaissances du mont-de-piété, m’adressa cette question :

— Monsieur va à Paris ?

Je relevai la tête en le regardant fixement :

— Pourquoi, Monsieur ?

— Oh, c’est parce que mon ami et moi nous allons à Paris et que nous ferions ainsi route ensemble jusque-là…

— Je vais, en effet, jusqu’à Paris, mais ce ne sera pas pour longtemps…

— Ah ! vous allez revenir à Versailles bientôt ?

— Oui, je compte y revenir dès demain.

— Mon ami et moi resterons à Paris beaucoup plus longtemps, n’est-ce pas ?

Et le quidam fixa son compagnon, demeuré muet jusque-là.

— C’est certain, répondit celui-ci, tout en continuant à m’examiner avec une attention qui commençait à me peser.

Le premier reprit :

— Ainsi, Monsieur, vous reviendrez à Versailles demain ?

— Oui, je ne resterai à Paris que le temps d’aller chercher mes vieux parents, et je reprendrai mes occupations à l’Assemblée nationale.

Ces derniers mots devaient produire l’effet que j’en attendais. Les deux mouchards, car c’en étaient en effet deux, crurent devoir prendre une tout autre attitude vis-à-vis de moi.

— Monsieur est député ?

— Non, dis-je en souriant, je suis simplement typographe, et employé comme tel au Journal officiel ; or, étant donné que les choses ne paraissent pas s’arranger, et craignant qu’il n’arrive quelque fâcheux accident à mon père et à ma mère, je vais les faire venir près de moi.