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des barricades au bagne

Les gardes nationaux entourent les deux prisonniers qui, en passant devant moi, me jettent un regard de haine que je ne saurais dépeindre. Convaincu que mes gaillards sont entre de bonnes mains, je prends congé du capitaine et quitte la gare Montparnasse.

Si, quelques semaines après, prisonnier à mon tour, je dus subir la confrontation avec de nombreux témoins à charge, oncques ne revis les deux trop aimables compagnons qui, de Versailles à Paris, m’entretinrent de leurs projets pour le rétablissement de l’ordre dans la capitale, tombée au pouvoir de ces « voyous de républicains et de socialistes ».

Me voici, pour quelque temps du moins, hors des griffes de la police et des réactionnaires ; pourtant une sorte de tristesse m’envahit : je n’ai pu, faute du concours qui m’était dû, réaliser mon dessein, porter la terreur au milieu des ennemis de la Révolution et, qui sait ? sauver peut être Paris, épargner des milliers d’existences, car la lutte s’annonce comme meurtrière, implacable, sans pitié, comme en juin 1848.

Aux âmes sensibles qui liront ces lignes et qui, bien à tort, accuseraient les révolutionnaires de nourrir des pensées de massacre, nous répondrons en les invitant à relire l’histoire, et non seulement les parties relatant les horreurs de la Semaine sanglante, mais toutes celles où les privilégiés, se trouvant en face des revendications de la classe ouvrière, les ont noyées dans le sang de milliers de miséreux.

Cette édifiante lecture leur permettra de juger avec plus de justice les hommes qui, prévoyant les hécatombes, les tueries épouvantables, s’efforcent, à leur corps défendant et faisant au besoin le sacrifice de leur mémoire, d’en empêcher la réalisation.

Supposons, par exemple, qu’aux jours de novembre 1851 quelques citoyens déterminés, prévoyant le crime du 2 décembre, aient débarrassé la France de Louis-Napoléon et de Morny ; nous retournant vers les apôtres de la douceur (?) et de la résignation (?) nous leur posons cette question : « Etant donnés le Coup d’Etat, la tyrannie endurée, les guerres et l’invasion qui suivirent, ces citoyens n’eussent-ils pas mérité le titre de bienfaiteurs de l’humanité ? »