Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/14

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privé : six magistrats furent commis au soin de le surveiller ; puis le conseil général, se reconnaissant gêné par le grand nombre de ses membres t fit sortir de son propre sein un sénat qui dut être toujours prêt à délibérer. Mais ce sénat pouvait à son tour franchir la borne de son autorité : on créa donc un peu plus tard trois magistrats qui, sous le nom d’avogadors, veillèrent au maintien de la constitution et au respect des limites qui resserraient chacun des corps de l’État. Ce n’est pas tout : après s’être défiés de tout le monde, les auteurs de ces changements se défièrent d’eux-mêmes. Craignant que leur génie eût fait défaut à leurs volontés, ils mirent en soupçon les institutions nouvelles, que cinq magistrats, nommés correcteurs, durent épier dans leurs effets, pour proposer, à chaque interrègne, les réformes nécessaires. Le véritable office de ces censeurs fut de prévoir les routes secrètes que pourrait encore se frayer l’ambition des doges vers une autorité trop durable ou trop étendue. C’est ainsi que, sur leur proposition, on interdit aux doges et à leurs enfants tout mariage avec des étrangers, dans la crainte que ces alliances ne rendissent trop indépendante et trop puissante dans l’État, la personne ou la famille de celui qui le gouvernait.

Les liens étroits sous lesquels pouvait à peine remuer le chef de l’État devaient l’amener à embrasser l’un de ces deux partis : servir les projets ambitieux des grands, pour partager avec eux le pouvoir suprême, ou se jeter dans les bras de la multitude, afin de briser avec elle le joug de la noblesse : on vit deux doges suivre tour à tour chacun de ces deux conseils. Mais le premier réussit à consommer, au profit de l’aristocratie, une révolution durable ; c’était Pierre Gradenigo. Le second paya de sa vie les avances qu’il fit au peuple : on le nommait Marino Faliero.