Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/15

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Gradenigo, qui appartenait à la noblesse, était tout porté vers cet ordre par l’esprit de corps. Après quelques essais imaginés pour préparer les esprits, il abolit les lois qui rendaient le grand conseil électif, et, assura, en 1319, le droit perpétuel et héréditaire d’y siéger, aux membres du conseil actuel et à leurs descendants. De ce jour tous les citoyens furent divisés en deux classes : l’une noble, souveraine, privilégiée, faisant les lois, régissant l’état ; l’autre commune, populaire, sujette, inhabile au maniement des affaires et à la direction du gouvernement.

Cette grande révolution était bien faite pour jeter la jalousie, la haine et l’indignation en quelques illustres familles qui, après avoir rempli les premiers emplois de la république, voyaient leurs noms exclus du livre d’or, image de cette loi nouvelle qui avait pour jamais muré le patriciat.

Aussi ces hardies réformes, avant d’être consommées, furent menacées de ruine par les nobles qu’elles devaient rejeter dans l’ordre commun. Les Querini, dont l’origine remontait à la famille romaine des Sulpiciens ; les Badouer, qui comptaient sept doges parmi leurs aïeux ; les Tiepolo, dont la famille avait deux fois régné, et dont le dernier chef venait de refuser le trône : ces trois familles avaient assemblé leurs plaintes et leurs vengeances, et peu s’en fallut que le palais ducal ne fût forcé par leurs adhérents, le doge massacré, les réformes abolies, et l’ancien état de choses restauré. Le sang avait coulé sur la place Saint-Marc ; mais la victoire demeura enfin au doge, et les lois nouvelles furent maintenues.

Les terreurs dans lesquelles vivait le nouveau gouvernement fit remettre à un conseil particulier la connaissance des crimes d’État. Composé de dix membres, n’ayant