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Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/25

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intact le droit de naissance et le respect dû aux gouvernants, une loi fermait l’entrée du grand conseil aux enfants illégitimes.

Je remarque une invention digne du moyen âge et du génie de cette soupçonneuse oligarchie. Afin de préserver la république contre les intrigues des puissances étrangères, un statut de l’inquisition autorisait le patricien à faire justice, par le poignard, de quiconque s’insinuerait vers lui pour chercher à le corrompre. C’était l’avertissement donné aux nobles eux-mêmes qu’ils pourraient bien aussi être poignardés, s’ils vendaient les secrets de l’État.

Des bouches de bronze, ouvertes dans tous les quartiers de Venise, tentaient les vengeances particulières en recevant les dénonciations ; une partie des citoyens surveillait l’autre. Les frais annuels de police montaient à 200,000 ducats. Les arrestations étaient nocturnes et secrètes comme les exécutions. En d’autres pays, on a voulu inspirer une terreur salutaire en montrant l’échafaud. À Venise, en le cachant, on croyait mieux aller au but. En effet, la soudaine disparition d’un homme trouble l’imagination de ceux qui le cherchent ; ils se demandent s’il est mort et comment, et ce doute même les effraie bien plus que s’ils l’avaient vu périr. Le soin de découvrir et de punir les délits, l’attention perpétuelle à ne pas se rendre suspect, étaient, dans cette république, la grande occupation du gouvernement et du peuple. Comme tous les esprits devaient être mis en travail, les uns par la vigilance, les autres par la crainte ! La nature humaine est si active que, peut-être, ce tourment était mêlé de quelque plaisir. L’ennui était inconnu dans cette ville pleine de choses mystérieuses et imprévues, et je ne sais si le peuple vénitien ne savait pas bon gré à son gouvernement de le distraire, même en le faisant trembler.