Page:Alletz - Discours sur la république de Venise.djvu/26

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Rien ne donne une plus frappante idée du secret qui enveloppait les procédés du gouvernement, que l’incertitude qui force encore les historiens à se partager sur la nature et les auteurs de la fameuse conjuration attribuée, en 1618, aux intrigues de l’Espagne. Quelques étrangers pendus publiquement sur la place Saint-Marc, un bruit vague d’arrestations et de supplices nocturnes, des entretiens à voix basse sur une conjuration étouffée par le conseil des Dix, des prières publiques ordonnées par le sénat, voilà tout ce qui parut, au dehors, de cette terrible affaire. C’est ainsi que, dans un monastère, un frère n’est instruit des malheurs qui ont frappé sa famille, que par un vague avertissement donné à toute la communauté.

J’admire qu’il ne se rencontre pas dans l’histoire de Venise un seul exemple de guerre civile. Indépendamment de la bonne police qui éteignait chaque étincelle, et de leur passion pour le commerce, qui jetait, au dehors leurs plus vives ardeurs, je trouve, pour ce fait singulier et unique dans les annales des républiques, une troisième cause qui ne me semble pas la moins forte. Les guerres intestines naissent de sociétés entre les mécontents. Pour conspirer, prendre les armes et combattre ses adversaires, il faut un espace suffisant : la fureur des partis s’excite de proche en proche, et là où la configuration du terrain rend les communications difficiles et met un invincible obstacle aux rassemblements tumultueux, les grandes luttes entre citoyens manquent de champ de bataille. Tel était le cas pour Venise morcelée en nombreux îlots, coupée par des lagunes, et forçant la discorde, qui aurait divisé les esprits, à diviser infiniment le combat

Lorsque l’imprimerie fut découverte, l’État de Venise subsistait depuis dix siècles. Une si vieille et si savante au-