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nous suffisait d’être ému pour être éloquent. Ainsi la poésie force la nature à se surpasser elle-même.

Tout spectacle du monde, toute parole ou toute action de l’homme, qui éveille en nous les harmonies primitives, nous cause une joie qui nous fait tressaillir jusque dans le fond de notre être, parce que nul n’a vu Dieu ici-bas, si ce n’est dans ces caractères de sa substance. Or, le but de cet art est d’idéaliser l’univers, c’est-à-dire d’en faire un miroir d’idées, de sorte que tout, pour nous, soit étincelant de Dieu.

La poésie devine ce qu’a dû être le monde avant la déchéance de l’homme. Aussi, ce que nous prenons pour un rêve n’est qu’un mystérieux souvenir. Elle imagine une beauté qui ne peut plus renaître mais dont nous avons gardé la secrète image au dedans de nous cette céleste empreinte redevient lumineuse, et l’homme banni de l’Eden croit reconnaître un chant divin qu’il avait oublié dans son exil. Le beau idéal n’est que le parfait conçu comme possible ; or la poésie prête un corps à nos désirs, un visage à nos espérances, un esprit à nos affections, une âme aux ombres dont notre tristesse cherche à peupler un désert. Le poëte nous fait goûter des joies ou verser des pleurs dont la cause n’est pas un objet réel : nous lui devons des passions et une vie imaginaires. Notre