Page:Alletz - Maladies du siècle.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

ronne, le prix de tant de passions combattues, de tant de sacrifices accomplis, de tant de résignation dans le désir, et de patience dans l’amour ; et Kant lui fait répondre par le Dieu qu’il a mis dans le ciel : « Mon essence est de vouloir et de connaître, mais non d’aimer ni de jouir. La science que tu boiras dans mon sein sera ton partage infini : dépouillé d’organes, n’attends pas d’autre récompense ! »

Ah ! je ne manquerais pas de voix pour démentir une pareille doctrine, si j’en appelais au poète recomposant un monde merveilleux avec les débris du nôtre ; au géomètre déterminant avec un rayon de soleil et l’ombre d’un compas la figure des corps dont il ne peut s’approcher ; au voyageur saisi d’admiration sur une terre lointaine, en face de la nature dont chaque beauté découverte est le prix d’une fatigue soufferte, le dédommagement d’une mort affrontée ; à la victoire assise, un drapeau à la main, sur les ruines d’une cité conquise ; à l’amour heureux d’un premier sourire, au repentir versant sa première larme. La conscience même de l’humanité déclare erronée cette philosophie qui déshérite l’ame de la puissance de jouir ou de souffrir en elle-même. Mais la fausseté d’un système ne de-