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veut réussir dans le monde des affaires, il doit se développer, non pas dans le sens de ses qualités héréditaires, mais dans le sens d’une race qui n’est pas la sienne ! Lui faire croire que sa langue, sa mentalité, ses traditions ancestrales, rien de cela ne peut le préparer à l’avenir, mais qu’il lui faut établir une solution de continuité entre l’âme de ses pères, le génie de sa race, et son âme à lui, son tempérament, son éducation personnelle ! Si, après cela, on trouve des engoués de l’anglicisation, des gens qui semblent vouloir se faire pardonner d’être Français d’origine, il ne faut pas être surpris outre mesure.

Que l’homme d’affaires ait besoin de connaître la langue anglaise, je ne le discute pas, et je me suis suffisamment expliqué là-dessus dans les autres parties de cette étude, en soulignant la place que le programme nouveau réserve à l’anglais. Mais qu’il faille créer chez l’enfant, pour toute sa vie, l’impression déprimante que sa langue et sa mentalité ne peuvent lui être d’aucun secours dans les affaires et le succès de sa vie, et qu’il lui faut se dépouiller de tout ce qui constitue son caractère ethnique pour faire son chemin au milieu des siens : voilà qui dépasse tout ce que l’on pourrait imaginer en fait d’instrument d’humiliation nationale. Est-ce que le commerce et les affaires ne demandent pas une culture d’esprit, des idées nettes, bien ordonnées, une puissance d’observation et de déduction, toutes choses — il faut toujours en revenir là — qui ne s’acquièrent que par la culture appropriée au tempérament de chaque race, la culture de la langue maternelle ? Avant de cultiver chez les générations qui poussent, cette opinion qui consacrerait le dogme de notre infériorité native, qui nous ferait bondir si elle nous était imposée par des persécuteurs, n’est-il pas à propos d’observer et de raisonner ? La race française est-elle si inférieure qu’elle ne puisse réussir sans se mettre dans la peau d’un Anglo-saxon ? Les Directeurs de l’École des Hautes Études commerciales n’ont-ils pas signalé l’influence que les Canadiens retireraient d’une bonne culture française pour le succès en affaires, et ne cherchent-ils pas à créer une réaction contre le préjugé que je déplore ? Est-ce que l’importance économique du français n’est pas proclamée par tous les peuples qui s’occupent de la reconstruction d’après-guerre ? Les affaires et la comptabilité en anglais ! Mais sait-on que le Canadien à toute épreuve qu’est M. Dubuc, — le grand industriel de Chicoutimi dont on ne contestera pas, je pense, les aptitudes et les succès en affaires, — a adopté, dans les établissements qu’il dirige, la comptabilité française, parce qu’il la trouve plus nette, plus précise et plus facile ? Et que pense-t-on des Caisses populaires Desjardins introduites jusque dans l’Argentine ? Est-ce que cette déplorable habitude de mettre l’anglais comme la langue du commerce, en étalant partout des réclames et des affiches anglaises ou à tournure anglaise, en forçant à écrire l’anglais plutôt que le français dans