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Page:Almanach du Père Peinard, 1896.djvu/23

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FARAMINEUSE CONSULTATION SUR L’AVENIR


Jaspinage épastrouillant d’une Somnambule archi-lucide de la force de trente-six chevaux de fiacre.


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À la dernière foire de Montmartre, je flanochais sur le boulevard, défilant devant les baraques.

Et je ronchonnais, saperlotte !

Je ronchonnais de voir que les vieux forains sont de jour en jour moins épais.

Finis, les bonisseurs époilants qui faisaient la parade devant des baraquettes gondolantes. C’était des bougres farcis d’esprit ! Ils vous envoyaient des palas qui n’étaient pas dans un sac et comme jugeotte en auraient facilement remontré aux quarante cornichons de l’Académie.

Finies, les géantes, les femmes torpilles, les naines et autres phénomènes épatarouflants à qui, en tout bien tout honneur, on tâtait la cuisse pour s’assurer que c’était de la vraie chair.

Finis aussi, les diseurs de bonne aventure, les somnambules, les entre-sort.

L’autorité a passé par là et, grâce à elle, la pauvre foire vous avait des airs d’enterrement de première classe.

L’autorité n’en fait jamais d’autre : misère et deuil, c’est tout ce qu’elle engendre !

Par exemple, si tous ces fourbis rigouillards se sont évanouis, en place y a des chevaux de bois à vapeur, des orgues de barbarie à trois étages, des montagnes russes qui virevoltent pendant un demi-kilomètre. Y a des baraques de gros banquistes, plus riches que des banquiers.

Aujourd’hui, n’est plus forain qui veut : c’est devenu une profession honorable, c’est-à-dire que l’exploitation s’en est mêlée, et qu’il y a des forains capitalos qui font trimer à leur profit quantité de pauvres bougres.

Ah fichtre, ça ne vaut pas les petites baraques où on reluquait des phénomènes renversants.

C’était plus populo, moins bourgeois, — or, tout ce qui est bourgeois me pue au nez, — ça a des relents de goguenots !

Je flanochais donc, groumant contre cet abruti de Lépine qui a donné le coup du lapin aux forains avec ses foultitudes d’interdictions, quand je reluque dans un coin un entre-sort, — parfaitement ! — une roulante de somnambule. Fallait être mariole pour la dénicher, attendu qu’en façade y avait une couillonnade permise, comme qui dirait une fabrique de bonshommes en pain d’épices forgé.

Vous savez, les frangins, combien le fruit défendu a d’attrait. Illico, je me suis payé une visite à la somnambule, — non pas que je coupe dans les bafouillages de ces monteuses de coups, mais uniquement pour protester contre leur interdiction.

Cette chasse, faite aux diseurs de bonne aventure est d’autant plus vache qu’on tolère leurs concurrents : toute la ratichonnerie fait son métier librement. Bien mieux elle est carmée par la gouvernance ! Et pourtant que font les cafards, sinon un fourbi du même tonneau que les somnambules ! Avec cette différence que dans leurs boutiques, c’est plus cher et moins rigolot.

J’entre donc chez ma somnambule.

— Salut, la compagnie, que je fais.

Y avait là un grand escogriffe, plus maigre qu’un échalas, surveillant une pauvre malheureuse à visage de papier mâché ; fallait pas grande jugeotte pour s’apercevoir que dans l’entre-sort, on ne bouffait pas son soûl tous les jours.

L’Échalas me rend mon salut et se met en position pour faire des passes magnétiques sur sa copine.

— Arrêtez les frais, que j’y dis. Je suis pas venu pour savoir si c’est la brune ou