Page:Almanach du Père Peinard, 1896.djvu/26

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rouages ; on a supprimé l’inutile : les conseillers municipaux et les sociétés financières. Y a donc que ça de changé : comme dans le temps passé les travaux continuent de se faire par les ouvriers de la corporation, avec cette différence que leur turbin est vraiment d’utilité et leur profite à eux, en même temps qu’aux autres.

— o —

L’Échalas qui, jusqu’alors n’avait pas plus bougé qu’une bûche, mis son grain de sel dans la conversation. Il avait une démangeaison de langue d’autant plus forte que le jaspinage de sa copine dérangeait tous ses préjugés.

— Il faut tout de même des impôts pour ces travaux ? Où les pêchent les ostrogoths dont tu parles ?

— Eh le bougre, ce que t’entends est nouveau pour toi, que je fais, ça te gargouille dans le siphon. Bast, avec la réflexion, tu comprendras. Pour ce qui est de ta question, je vais te faire saisir le coup : supposons une route ou un pont à construire. Tu veux que par l’impôt chacun y contribue ?

— Parfaitement !

— Or, pour faire la répartition, puis son prélèvement, faut des employés ; ayant besoin de bouffer, il est tout naturel qu’ils prennent leur nécessaire sur l’impôt qu’ils lèvent, si bien que le populo n’a plus un impôt mais deux à casquer : le premier, pour la route ou le pont, le second pour donner la pâtée aux collecteurs… Passons ; une fois l’impôt encaissé, à quoi l’emploie-t-on ?

— Comprends pas bien !… On l’emploie à acheter les matières premières, à payer les ouvriers, etc…

— T’as bien compris, foutre ! On se sert de l’impôt pour se procurer les matières premières et tout le nécessaire… Eh bien, suppose qu’au lieu d’aller chercher midi à quatorze heures, on ait demandé illico au populo les matières premières et tous les trucs indispensables, on se serait évité la canulerie de l’impôt et on n’aurait pas eu à nourrir pour une besogne inutile la trifouillée de collecteurs… C’est ce que font les ostrogoths dont nous parle ta copine, — ce qui prouve qu’ils ne sont plus aussi niguedouilles que nous.

— Oui, oui, c’est beau ce que tu dis, vieux ; mais les travaux dégoûtants, tels que le nettoyage des rues, la vidange, qui fait tout ça ? C’est bibi qui aurait les pieds nickelés et qui, pour rien au monde, ne voudrait s’embarbouiller là-dedans… et je ne suis pas le seul !

— T’as raison, frangin, réplique la somnambule. Certes, si c’était aussi dégueulasse que dans la vieille France, ça serait vraiment mouche et personne ne marcherait. Heureusement, ça a changé ! Y a plus de sales corvées. Après le grand coup de Trafalgar, qui a aéré la société, c’est à quoi on a d’abord songé ; et il le fallait bien, à moins de crever dans la pourriture. Car, vraiment, fallait un sacré courage et être sous le joug de la terrible nécessité pour se résoudre à barbotter dans la mouscaille des autres.

Comme le jour où les gas ont été libres, personne n’en pinçait pour ces sales farfouillages, des chics types se sont mis la caboche à l’envers pour trouver des trucs. Et ils ont trouvé !

Les égouts ne sont plus les dégoûtantes taupinières d’autrefois, ils sont larges, bien combinés, et toutes les marchandises dégoulinent dedans. Grâce à ces binaises épatantes, ça ne pue pas plus que dans un jardin fleuri. De là, par des machines puissantes, toutes les salopises sont refoulées dans de vastes réservoirs. Là encore, ça ne fouette pas ! Grâce à l’électricité qu’on fait continuellement circuler dans toutes ces cochonneries, toute mauvaise odeur a disparu. Puis, par des trucs chimiques, on fait tomber tout ce qui est solide au fond des réservoirs ; l’eau sort claire et pure, et par une canalisation s’en va à la mer.

Quant à la marchandise solide, qui ensuite n’est pas plus sale à tripoter que de la terre, des machines cureuses l’en-