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Page:Almanach du Père Peinard, 1896.djvu/25

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de rachitiques, de scrofuleux, d’anémiques, de tuberculeux sont des raretés qui disparaissent au fur et à mesure qu’on s’éloigne du passé.

Les purotins sont inconnus : personne n’a de ripatons faisant risette au ruisseau ni des grimpants aérés aux fesses : tout le monde a des frusques potables ; non des vêtements de gommeux, mais des nippes commodes et étoffées.

Ce serait idiot de dire que tout le monde rigole, seulement on lit sur les physionomies que tous les enquiquinements de l’ancien temps sont de sortie. Chacun va à sa besogne, sans crainte de tomber sur un patron canulant qui le saque illico, — pour cette bonne raison que les patrons n’existent plus.

— Oui, je comprends ! Ces gens-là ne trottent pas après un déjeuner ; ils vont à l’atelier avec le même plaisir que nous allons chez le bistrot ; on s’est aligné pour rendre le travail agréable… Par exemple, ce que je voudrais savoir c’est s’ils ont toujours un gouvernement sur le râble ?

— Cette mécanique est inconnue dans le patelin : il n’y a que trois choses réelles dans la société. La production, la circulation, la consommation. Rien de tout cela n’étant du ressort de l’État, on se passe de lui, comme on se passe de mettre cinq roues aux carosses. On s’est enfin aperçu que sous prétexte de protection, l’État faisait son métier de marlou et qu’il vivait simplement aux crochets du populo, se contentant d’être le gendarme des capitalos. On l’a donc envoyé à la balançoire ! Malgré ça, ceux qui aiment à comparer au corps humain l’ensemble de la Société y trouveraient encore leur compte : les chemins de fer et toutes les voies circulatoires par où vont et viennent les victuailles font les fonctions d’artères et de veines ; quant aux nerfs, un treillis télégraphique et téléphonique en tient lieu ; le poste central fait la besogne du cerveau, reçoit les nouvelles et les transmet où besoin est.

La rapidité des communications rend facile l’équilibre entre la production et la consommation.

Et d’abord, pour la ville elle-même, les dépôts de quartier : boulangeries, boucheries, poissonneries, et magasins divers font connaître leurs besoins ; les demandes sont transmises aux groupes producteurs qui, sans retard, répondent aux demandes, disent les quantités qu’ils peuvent livrer.

Des diverses villes, des centres de production agricole et industrielle arrivent aussi d’identiques renseignements : « Nous manquons de ceci… nous avons tant de cela à la disposition… »

Toute notion de valeur étant éliminée, les échanges se font librement : les produits sont transportés où besoin est, sans achat ou vente, sans monnaie ni bon de travail. Les expéditeurs n’exigent aucune quittance de leur envoi, ne s’inquiètent pas si l’agglomération à qui ils sont expédiés leur donnera en compensation tels ou tels produits : ils savent qu’il y a réciprocité et qu’ils n’ont, eux aussi, qu’à téléphoner pour que leur arrive ce qui leur manque.

Et ça, sans hiérarchie, sans fonctionnarisme, sans bureaucratie d’aucune sorte : les bureaux de téléphone ne sont que des appareils enregistreurs, sans un brin d’autorité.

Ce qui est plus bath, c’est que le conseil municipal lui-même a été mis au rencard : on a reconnu que cette administrance était aussi un gouvernement, ayant sa police, ses larbins, faisant la pluie et le beau temps et se foutant du populo comme un poisson d’une pomme.

Et les travaux de voirie, d’assainissement et d’embellissement se sont rudement développés depuis lors. Le conseil municipal chargeait de ça des sociétés financières. En retour, on lui foutait des pots-de-vin par le travers de la gueule et pour faire croire à leur utilité les sacrés conseillers se remuaient, bavassaient et braillaient, faisant plus de potin et autant de besogne qu’une mouche dans une bouteille. Quant aux travaux, les sociétés de capitalistes les faisaient accomplir par des ouvriers.

Ça faisait deux superpositions de