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Page:Almanach du Père Peinard, 1896.djvu/30

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Donc, une fois le puant distinguo du tien et du mien mis au rancard ; quand chacun aura sous la main et sous la dent l’existence assurée, pourquoi diable un type se servirait-il du surin ou de la pince-monseigneur ?

Reste le dixième crime : celui-là est commis par un fou ou un type surexcité par la passion.

— Ces crimes-là, eux-mêmes, père Peinard, intervient la somnambule, sont en décroissance dans la Société harmonique :

Parlons d’abord de la folie, — y a plus guère de maboules et leur nombre va toujours en diminuant.

Les pauvres bougres sont soignés dans de vastes maisons de santé, chouettement aménagées. C’est pour ainsi dire des maisons de verre, tellement tout s’y passe au grand jour : y pénètre qui veut. D’ailleurs, y a pas de séquestrations arbitraires ; c’était bon autrefois : alors la gouvernance faisait boucler les types qui la gênaient ; des richards graissaient la patte aux médecins qui, moyennant finances, déclaraient fou un parent gêneur… Mais dans une société où il n’y a ni gouvernance ni propriété, personne n’a intérêt à commettre semblables crapuleries.

Au surplus, il est rare qu’au bout d’un certain temps, les malheureux soignés dans ces maisons n’en sortent pas complètement guéris.

Il en est des hommes comme des chiens : il est reconnu que chez les cabots, la rage est occasionnée surtout par la contrainte qu’on leur impose. La preuve en est qu’à Constantinople, où les chiens vivent par bandes dans les rues, sans maîtres, y a jamais de cas de rage, malgré la chaleur faramineuse.

De même la folie humaine est un résultat de l’autorité et de l’exploitation ; la surexcitation, l’angoisse, sont le lot de tous dans une société où, au lieu de s’harmoniser, les efforts se font une concurrence féroce et stupide ; où, quand on n’est pas écrabouillé soi-même, on écrabouille toujours quelqu’un… Rien de drôle que la folie s’en suive !

Il est naturel aussi qu’une fois les causes anéanties, la maladie s’éclipse.

Quant aux crimes passionnels, eux-mêmes sont rudement à la baisse. Ils proviennent d’une sale conception : dans la société bourgeoise, où tout est la propriété de quelqu’un, la femme ne fait pas exception à la règle.

Dès qu’elle est en puissance de mari, le papa passe ses droits de proprio au type qui, dorénavant, la considère comme un ustensile appartenant à lui seul. Si quelqu’un y met un doigt, ça froisse ses sentiments de proprio : il grince des dents, voit rouge… et un crime passionnel s’ajoute à la liste !

Comme à tout, le seul remède à ces monstruosités est la liberté.

De même, ce qu’on ne voit plus, c’est des jeunesses se suicider par amour : quand les enfants étaient la propriété des parents, défense leur était faite d’avoir des amourettes selon leur cœur ; l’intérêt de la famille primait tout. Aussi le résultat était propre : à chaque instant, des pauvres gosses, tout débordants de vie s’escoffiaient pour échapper à l’autorité familiale.

Maintenant toutes entraves sont éliminées et ils s’épanouissent en liberté.

Dans la société harmonique, tout ce qui est vivant est autonome : les choses manufacturées, résultats des efforts musculaires et cérébraux, les productions de la nature, appartiennent à tous et à chacun. Nul ne s’en dispute la jouissance, l’abondance rendant les querelles inutiles.

Il n’en est pas de même de l’être humain, il s’appartient ! À aucun moment de son existence nul n’a de droit sur sa personnalité ; même tout petiot, nul ne songe à faire peser sa volonté sur lui.

Le respect que chacun a pour son semblable a modifié de riche façon les rapports et les relations.

Ainsi, en amour, on ne conçoit rien en dehors de la liberté : il ne vient à l’idée d’aucun ou d’aucune d’imposer ses baisers à qui les refuse. Les relations sexuelles ne sont plus un dégoûtant marchan-