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Page:Almanach du Père Peinard, 1896.djvu/33

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tiateurs a fait assez de recrues, on s’attèle à sa réalisation. Comme y a pas d’intérêts en opposition, les résistances qui se mettent en travers d’une application nouvelle sont minimes. En tous cas, jamais la majorité ne coupe la chique à la minorité, — on ne connaît plus ces sales divisions ! Du moment qu’un groupe — ne fût-il composé que de trois pelés et d’un tondu, — a quelque chose dans le ciboulot, ceux qui ne marchent pas avec pourront leur refuser aide et appui, mais jamais ils ne seront assez maboules pour leur foutre des bâtons dans les jambes.

— o —

— Fort bien ! Tu nous jactes ça en douce. Mais les loupiots ? Je voudrais bien savoir s’ils poussent kif-kif les champignons, avec un alignement social de ce calibre ? interroge l’Échalas.

— Tu t’imagines peut-être qu’on les laisse à l’abandon et que personne ne veut s’en occuper. Que tu es cruche !

Jamais les gosses n’ont eu autant de caresses que dans la société harmonique et ça se comprend : quand ils s’amènent, aucune arrière-pensée ne refroidit la joie de leur naissance : ils ne sont jamais une charge, car les bouches nouvelles ne rognent la part de personne.

Lorsque le môme sort de sa coquille, c’est habituellement la mère qui le nourrit, secondée par des trifouillées de copines ; si la maternité ne lui dit pas, on ne lui jette pas la pierre, et l’enfant n’est pas privé de soins pour cela : il ne manque pas de bonnes femmes qui sont le contraire de ces mères insouciantes et qui ont l’instinct de la maternité rudement développé : elles se chargent du petiot et il est cajolé et dorloté, je vous dis que ça !

Quand l’enfant tient sur ses quilles, son éducation commence. Oh ! mais, instruction et éducation n’ont rien de commun avec la dégoûtation baptisée « instruction obligatoire » par la république bourgeoise. Au lieu de chercher à gaver l’enfant, à l’empiffrer de récitations qu’il ne comprend pas, on s’occupe d’éveiller son intelligence, de l’apprendre à penser et à réfléchir.

C’est d’abord dans les « jardins d’enfants » (un truc appliqué depuis belle lurette en Allemagne) qu’il s’instruit tout en s’amusant.

Plus tard, les deux sexes toujours élevés en commun, c’est mutuellement que les jeunes gens s’instruisent ; quand une question vient sur le tapis, il la discutent et l’approfondissent, le plus ferré sur le sujet expliquant le fourbi. Quant à celui qui fait les fonctions de professeur, il n’est pour les élèves qu’un ami plus âgé se bornant à élucider un point obscur, à le faire mieux concevoir, — mais jamais il ne se targue de son savoir, jamais il ne fait acte d’autorité, jamais n’ordonne ou n’impose une leçon ou un devoir.

— Ah bien, ce que les gosses doivent être teignes ! s’exclame l’Échalas.

— Encore une erreur ! N’ayant pas de contrainte, n’ayant aucune règle à enfreindre, les gosses ne sont plus les polissons que tu crois. Ils n’ont plus cette méchanceté hargneuse qui les portait à faire de mauvaises niches et à torturer les faibles, — se vengeant ainsi de toutes les mistoufles qu’on leur faisait endurer.

Ils sont joyeux, turbulents, mais ils ont de grands espaces à eux et leurs rigolades ne gênent personne.

Quand ils sont dans les salles d’étude, ils discutent, — c’est fort bien. L’envie leur vient d’aller se promener ou jouer, — c’est encore bien. On considérerait comme un crime de gâter les pures joies de leur premier âge par des interdictions aussi idiotes qu’inutiles…

Ah, mes amis, je vois encore des tapées de choses… Mais, tout vous dégoiser est impossible… Et puis, j’en peux plus, je suis lasse…

— Bois un coup, ma fille, ça te remettra le cœur en place !

Au fait, la somnambule n’avait pas tort d’être éreintée ; ç’eût été mufle de la cramponner davantage.

— Tonnerre, tu nous as rudement tourneboulé avec ton histoire, réplique l’Échalas, en reposant son verre qu’il