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Page:Almanach du Père Peinard, 1896.djvu/32

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Les habitations peuvent être classées en deux grandes catégories : les maisonnettes, avec jardin à l’entour, où logent un groupe d’amis ou une famille. Tout le confortable possible y est empilé : eau froide, eau chaude, salle de bains, lumière, chaleur, téléphone, jusqu’à des tubes pneumatiques, par où sont expédiées des provisions d’un volume pas trop énorme.

Dans ces chalets perchent ceux qui en pincent pour le « chez soi ».

D’autres habitations, en rapport avec des habitudes moins casanières, ont une vague ressemblance avec les « six étages » bourgeois, — ressemblance simplement extérieure, car à l’intérieur les chambres sont vastes et le plafond en est élevé. Puis, y a pas d’escalade à faire : les ascenseurs sont là pour vous monter et vous descendre.

Dans ces hôtels logent ceux que l’existence de famille ou de groupe ne botte pas ; leur vie est plus individuelle, car ils n’ont pas à s’occuper des menus soins de ménage auquel il faut faire face dans le premier genre d’habitations.

Inutile de dire que la domesticité y est dans le seau : y a plus de larbins ! On se rend des services mutuels, sans attacher la moindre idée d’infériorité à tel ou tel travail : c’est un échange continuel de bons procédés, — maintenant on rend service aux autres : tout à l’heure c’est eux qui vous rendront service.

Ça a rudement simplifié la vie : on ne voit plus de ces pimbêches, kif-kif les poufiasses de la haute, passer leur journée à se bichonner, se faire coiffer, essayer des toilettes gondolantes. Les relations ont une simplicité galbeuse qui ensoleille l’existence.

Cette disparition du désœuvrement bourgeois a donné un rude élan à la vie artistique et intellectuelle. Il n’y a pas d’individu qui, outre une profession manuelle l’occupant quelques heures, ne s’adonne avec passion à une œuvre artistique.

Sur les théâtres, magnifiquement aménagés, des troupes d’acteurs volontaires jouent des pièces démouchetées.

De beaux bouquins, admirables comme impression, sont édités par des groupes, — toujours recrutés par affinité.

Des peintres qui, autrefois, n’auraient pas eu les moyens de se développer, donnent un libre essor à leurs aptitudes et accouchent de peintures mirobolantes. L’art officiel étant crevé avec son protecteur l’autorité, leur initiative n’est pas gênée dans les entournures par le respect du passé ou étouffée par l’enseignement des écoles.

En toutes les branches le goût s’affine, et le niveau cérébral s’élève bougrement.

Là où l’individu seul ne peut parvenir à créer son œuvre, il s’associe à d’autres et de ces groupements sortent de chouettes bricoles.

Ainsi ont été fouillées et sculptées les pierres des monuments et couvertes de lumineuses décorations toutes les surfaces libres : aussi bien les murs des salles d’attente des gares que ceux des restaurants et des grands halls de réunion.

C’est ça qui est rupin, les réunions ! Y en a partout et sur tout : littérature, sciences, art, améliorations sociales, etc. Chacun grimpe à la tribune et jaspine son avis en toute liberté : y a naturellement pas de président qui lui coupe la chique. Ceux qui prennent la parole dégoisent leur boniment sans magnes ni flaflas : comme y a pas d’assiette au beurre où mettre un doigt, ils se bornent à expliquer clairement leur idée, sans chercher à fiche de la poudre dans les yeux des auditeurs.

C’est dans les réunions que les idées nouvelles sont d’abord émises. Celui qui lance une idoche dans la circulation se grouille pour grouper autour de lui des frangins qui l’approuvent. Quand il y a un noyau assez important, les gars passent à un autre genre d’exercice : ils publient sur la question des brochures, des journaux, des placards dont ils inondent le patelin.

Si l’idée est chouette, elle fait son chemin et dès que le demi-quarteron d’ini-