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TABAC

pas la plante comme spontanée, et le Dr  Asa Gray dit qu’elle se sème dans les terrains vagues[1]. C’est peut-être ce qui était arrivé pour des échantillons de l’herbier Boissier, que Pavon a récoltés au Pérou et dont il ne parle pas dans la flore péruvienne. L’espèce croit abondamment autour de Cordova, dans la république Argentine[2], mais on ignore depuis quelle époque. D’après l’emploi ancien de la plante et la patrie des espèces les plus analogues, les probabilités sont en faveur d’une origine du Mexique, du Texas ou de Californie.

Plusieurs botanistes, même des Américains, ont cru l’espèce de l’ancien monde. C’est bien certainement une erreur, quoique la plante se répande çà et là, même dans nos forêts et quelquefois en abondance[3], à la suite des cultures. Les auteurs du XVIe siècle en ont parlé comme d’une plante étrangère, introduite dans les jardins et qui en sortait quelquefois[4]. On la trouve dans quelques herbiers sous les noms de N. tatarica, turcica ou sibirica, mais il s’agit d’échantillons cultivés dans les jardins, et aucun botaniste n’a rencontré l’espèce en Asie ou sur les confins de l’Asie, avec l’apparence qu’elle fût spontanée.

Ceci me conduit à réfuter une erreur plus générale et plus tenace, malgré ce que j’ai démontré en 1855, celle de considérer quelques espèces mal décrites d’après des échantillons cultivés, comme originaires de l’ancien monde, en particulier d’Asie. Les preuves de l’origine américaine sont devenues si nombreuses et si bien concordantes que, sans entrer dans beaucoup de détails, je puis les résumer de la manière suivante :

A. Sur une cinquantaine d’espèces du genre Nicotiana trouvées à l’état sauvage, deux seulement sont étrangères à l’Amérique, savoir : 1o  le N. suaveolens, de la Nouvelle-Hollande, auquel on réunit maintenant le N. rotundifolia du même pays, et celui que Ventenat avait appelé par erreur N. undulata ; 2o  le N. fragrans Hooker (Bot. mag., t. 4865), de l’île des Pins, près de la Nouvelle-Calédonie, qui diffère bien peu du précédent.

B. Quoique les peuples asiatiques soient très amateurs de tabac et que dès une époque reculée ils aient recherché la fumée de certaines plantes narcotiques, aucun d’eux n’a employé le Tabac antérieurement à la découverte de l’Amérique. Tiedemann l’a très bien démontré par des recherches approfondies dans les écrits des voyageurs du moyen âge[5]. Il cite même pour une époque moins ancienne et qui a suivi de près la découverte de l’Amérique, celle de 1540 à 1603, plusieurs voyageurs dont quelques-

  1. Asa Gray, Synoptical flora of N. A. (1878), p. 241.
  2. Martin de Moussy, Descript. de la rép. Argentine, 1, p. 196.
  3. Bulliard, l. c.
  4. Cæsalpinus, lib. VIII, cap. 44 ; Bauhin, Hist., 3, p. 630.
  5. Tiedemann, Geschichte des Tabaks (1854), p. 208. Deux ans auparavant, Volz, Beiträge zur Culturgeschichte, avait réuni déjà un très grand nombre de faits sur l’introduction du Tabac dans divers pays.