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TABAC

C. Les noms vulgaires du Tabac confirment une origine américaine. S’il y avait eu des espèces indigènes dans l’ancien monde, il existerait une infinité de noms différents ; mais au contraire les noms chinois, japonais, javanais, indiens, persans, etc., dérivent des noms américains Petum, ou Tabak, Tahok, Tamboc, légèrement modifiés. Piddington, il est vrai, cite des noms sanscrits, Dhumrapatra et Tamrakouta[1] ; mais je tiens d’Adolphe Pictet que le premier de ces noms, qui n’est pas dans le dictionnaire de Wilson, signifie feuille à fumer et paraît d’une composition moderne, tandis que le second n’est probablement pas plus ancien et semble quelque modification moderne des noms américains. Le mot arabe Docchan veut dire simplement fumée[2].

Enfin nous devons chercher ce que signifient deux Nicotiana qu’on prétend asiatiques. L’une, appelée par Lehmann Nicotiana chinensis, venait du botaniste russe Fischer ; qui la disait de Chine. Lehmann l’avait vue dans un jardin ; or on sait à quel point les origines des plantes cultivées par les horticulteurs sont fréquemment erronées, et d’ailleurs, d’après la description, il semble que c’était simplement le N. Tabacum, dont on avait reçu des graines, peut-être de Chine[3]. La seconde espèce est le N. persica, de Lindley, figurée sans le Botanical register (pl. 1592), dont les graines avaient été envoyées d’Ispahan à la Société d’horticulture de Londres comme celles du meilleur Tabac cultivé en Perse, celui de Schiraz. Lindley ne s’est pas aperçu que c’était exactement le N. alata, figuré trois ans auparavant par Link et Otto[4] d’après une plante du jardin de Berlin. Celle-ci venait de graines du Brésil méridional, envoyées par Sello. C’est une espèce certainement brésilienne, à corolle blanche, fort allongée, voisine du N. suaveolens de la Nouvelle-Hollande. Ainsi le Tabac cultivé quelquefois en Perse, concurremment avec l’ordinaire et qu’on a dit supérieur pour le parfum, est d’origine américaine, comme je l’avais prévu dans ma Géographie botanique en 1855. Je ne m’explique pas comment cette espèce a été introduite en Perse. Ce doit être par des graines tirées d’un jardin ou venues, par hasard, d’Amérique, et il n’est pas probable que la culture en soit habituelle en Perse, car Olivier et Bruguière, ainsi que d’autres naturalistes qui ont vu les cultures de Tabac dans ce pays, n’en font aucune mention.

Par tous ces motifs, il n’existe point d’espèce de Tabac

  1. Piddington, Index.
  2. Forskal, p. 63.
  3. Lehmann, Historia Nicotinarum, p. 18. L’expression de suffruticosa est une exagération appliquée aux Tabacs, qui sont toujours annuels. J’ai déjà dit que le N. suffruticosa des auteurs est le N. Tabacum.
  4. Link et Otto, Icones plant. rar. horti ber., in-4, p. 63, t. 32. Sendtner, dans Flora brasil., vol. 10, p. 167, décrit la même plante de Sello, à ce qu’il semble, d’après des échantillons envoyés par ce voyageur, et Grisebach, Symbolæ fl. argent., p. 243, mentionne le N. alata dans la province d’Entrerios de la république Argentine.