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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

douce n’a guère pu exister dans une région sans que l’homme ait essayé de le cultiver. Les semis en sont faciles et donnent presque toujours la même qualité recherchée. Les anciens voyageurs ou historiens ne peuvent pas non plus avoir négligé l’importation d’un arbre fruitier aussi remarquable. Sur ce point historique, les études faites par Gallesio, dans les anciens ouvrages, ont donné des résultats extrêmement intéressants.

Il prouve d’abord que les orangers apportés de l’Inde, par les Arabes, en Palestine, en Égypte, dans le midi de l’Europe et sur la côte orientale de l’Afrique, n’étaient pas l’oranger à fruit doux. Jusqu’au XVe siècle, les ouvrages arabes et les chroniques ne parlent que d’oranges amères ou aigres. Cependant, lorsque les Portugais arrivèrent dans les îles de l’Asie méridionale, ils trouvèrent des orangers à fruits doux, et ce ne fut pas pour eux, à ce qu’il semble, une nouveauté. Le Florentin qui accompagnait Vasco de Gama et qui a publié la relation du voyage dit : « Sonvi melarancie assai, ma tutte dolci » (Il y a beaucoup d’oranges, mais toutes douces). Ni ce voyageur ni ceux qui suivirent ne témoignèrent de la surprise en goûtant un fruit aussi agréable. Gallesio en infère que les Portugais n’ont pas été les premiers à rapporter les oranges douces de l’Inde, où ils arrivèrent en 1498, ni de Chine, où ils parvinrent en 1518. D’ailleurs une foule d’écrivains du commencement du XVIe siècle parlent de l’orange douce comme d’un fruit déjà cultivé en Italie et en Espagne. Il y a plusieurs témoignages pour les années 1523 et 1525. Gallesio s’arrête à l’idée que l’orange douce a été introduite en Europe vers le commencement du XVe siècle[1] ; mais Targioni cite, d’après Valeriani, un statut de Fermo, du XIVe siècle, dans lequel il est question de cédrats, oranges douces, etc.[2], et les renseignements recueillis récemment sur l’introduction en Espagne et dans le Portugal par M. Goeze[3], d’après d’anciens auteurs, concordent avec cette même date. Il me parait donc probable que les oranges reçues plus tard, de Chine, par les Portugais, étaient seulement meilleures que celles connues auparavant en Europe, et que les noms vulgaires d’oranges de Portugal et de Lisbonne sont dus à cette circonstance.

Si l’orange douce avait été cultivée très anciennement dans l’Inde, elle aurait eu un nom spécial en sanscrit, les Grecs en auraient eu connaissance dès l’expédition d’Alexandre, et les Hébreux l’auraient reçue de bonne heure par la Mésopotamie. On aurait certainement recherché, cultivé et propagé ce fruit dans l’empire romain, de préférence au Limonier, au Cédratier et au

  1. Gallesio, p. 321.
  2. La date de ce Statuto est donnée par Targioni à la page 205 des Cenni storici comme étant l’année 1379, et à la page 213 comme 1309. L’errata ne dit rien sur cette différence.
  3. Goeze, Ein Beitrag zur Kenntniss der Orangengewächse, Hambourg, 1874, p. 26.