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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

l’Europe méridionale, l’Algérie et le Maroc[1]. C’est surtout dans le Pont, en Arménie, au midi du Caucase et de la mer Caspienne, qu’elle présente l’aspect d’une liane sauvage, qui s’élève sur de grands arbres et donne beaucoup de fruits, sans taille ni culture. On mentionne sa végétation vigoureuse dans l’ancienne Bactriane, le Caboul, le Cachemir et même dans le Badakchan, situé au nord de l’Indou-Kousch[2]. Naturellement, on se demande là, comme ailleurs, si les pieds que l’on rencontre ne viennent pas de graines transportées des plantations par les oiseaux. Je remarque cependant que les botanistes les plus dignes de confiance, ceux qui ont le plus parcouru les provinces transcaucasiennes de la Russie, n’hésitent pas sur la spontanéité et l’indigénat de l’espèce dans cette région. C’est en s’éloignant vers l’Inde et l’Arabie, l’Europe et l’Afrique septentrionale qu’on trouve le plus souvent dans les flores l’expression que la vigne est « subspontanée », peut-être sauvage, ou devenue sauvage (verwildert, selon le terme expressif des Allemands).

La dissémination par les oiseaux a dû commencer de très bonne heure, dès que les baies de l’espèce ont existé, avant la culture, avant la migration des plus anciens peuples asiatiques, peut-être avant qu’il existât des hommes en Europe et même en Asie. Toutefois la fréquence des cultures et la multitude des formes de raisins cultivés ont pu étendre les naturalisations et introduire dans les vignes sauvages des diversités tirant leur origine de la culture. A vrai dire, les agents naturels, comme les oiseaux, le vent, les courants, ont toujours agrandi les habitations des espèces, indépendamment de l’homme, jusqu’aux limites qui résultent, dans chaque siècle, des conditions géographiques et physiques et de l’action nuisible d’autres végétaux et d’animaux. Une habitation absolument primitive est plus ou moins un mythe ; mais des habitations successivement étendues ou restreintes sont dans la force des choses. Elles constituent des patries plus ou moins anciennes et réelles, à condition que l’espèce s’y soit maintenue sauvage, sans l’apport incessant de nouvelles graines. Pour ce qui concerne la vigne, nous avons des preuves d’une ancienneté très grande en Europe, comme en Asie.

Des graines de vigne ont été trouvées sous les habitations lacustres de Castione, près de Parme, qui datent de l’âge du bronze[3], dans une station préhistorique du lac de Varèse[4], et

  1. Grisebach, La végétation du globe, traduct. française par de Tchihatcheft, 1, p. 162, 163, 442 ; Munby, Catal. Alger, Bail, Fl. maroccanæ spicilegium, p. 392.
  2. Adolphe Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. l, p. 295, cite plusieurs voyageurs pour ces régions, entre autres Wood, Journey to the sources of the Oxus.
  3. Elles sont figurées dans Heer, Die Pflanzen der Pfahlbauten, p. 24, f. 11.
  4. Ragazzoni, dans Rivista arch. della prov. di Como, 1880, fasc. 17, p. 30 et suivantes.