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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

dans sa monographie des Euphorbiacées, rapporte à une espèce voisine (M. palmata) la forme Aipi, qui est cultivée au Brésil avec les autres et dont la racine n’est pas vénéneuse. Ce dernier caractère n’est pas aussi tranché qu’on le croirait d’après certains ouvrages et même d’après les indigènes. Le Dr Sagot[1] qui a comparé une douzaine de variétés de Manioc cultivées à Cayenne, dit expressément : « Il y a des Maniocs plus vénéneux les uns que les autres ; mais je doute qu’aucun soit absolument exempt de principes nuisibles. »

On peut se rendre compte de ces singulières différences de propriétés entre des plantes fort semblables par l’exemple de la Pomme de terre. Le Manihot et le Solanum tuberosum appartiennent tous deux à des familles suspectes (Euphorbiacées et Solanacées). Plusieurs de leurs espèces sont vénéneuses dans certains de leurs organes ; mais la fécule, où qu’elle se trouve, ne peut pas être nuisible, et il en est de même du tissu cellulaire lavé de tout dépôt, c’est-à-dire réduit à la cellulose. Or dans la préparation de la Cassave (farine de Manioc), on a grand soin de racler l’écorce extérieure de la racine, ensuite de piler ou écraser la partie charnue, de manière à en expulser le suc plus ou moins vénéneux, et finalement on soumet la pâte à une cuisson qui chasse des parties volatiles[2]. Le tapioca est de la fécule pure, sans mélange des tissus qui existent encore dans la cassave. Dans la pomme de terre, la pellicule extérieure prend des qualités nuisibles quand on la laisse verdir en l’exposant à la lumière, et il est bien connu que des tubercules mal mûrs ou viciés, contenant une trop faible proportion de fécule avec beaucoup de sucs, sont mauvais à manger et feraient positivement du mal aux personnes qui en consommeraient une certaine quantité. Toutes les Pommes de terre, comme probablement tous les Maniocs, renferment quelque chose de nuisible, dont on s’aperçoit jusque dans les produits de la distillation, et qui varie par plusieurs causes ; mais il ne faut se défier que des matières autres que la fécule.

Les doutes sur le nombre des espèces à admettre dans les Manihots cultivés ne nous embarrassent nullement pour la question de l’origine géographique. Au contraire, nous allons voir que c’est un moyen important de constater l’origine américaine.

L’abbé Raynal avait répandu jadis l’opinion erronée que le Manioc aurait été apporté d’Afrique en Amérique. Robert Brown le niait en 1818[3] sans donner des motifs à l’appui, et de Hum-

  1. Sagot. dans Bull. de la Société botanique de France du 8 décembre 1871.
  2. J’indique la préparation dans ce qu’elle a d’essentiel. Les détails diffèrent suivant les pays. Voir à cet égard : Aublet, Guyane, 2, p. 67 ; Descourtilz, Flore des Antilles, 3, p. 113 ; Sagot, l. c, etc.
  3. R. Brown, Botany of Congo, p. 50.