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ANTHOLOGIE FÉMININE

confiance et son éclat, et mourra de langueur sans retrouver sa joie et sa beauté premières.

Dans notre esprit, l’idée de bonheur se confond positivement avec le mot triste et charmant — d’autrefois…, car le passé devient le mélancolique lieu d’asile de toute félicité humaine, du moment où l’avenir ne sourit plus à nos vingt ans. Aussi les montagnes m’ont-elles paru toujours la poétique image de nos rêves de bonheur. Aperçues de loin, soit que l’on marche vers elles ou que l’on se retourne pour les revoir encore, elles se montrent à nos regards doucement irisées des tons les plus suaves, azurées et souriantes ; mais dès qu’on cherche à les gravir, elles nous apparaissent âpres, rudes, hérissées d’abîmes, telles qu’elles sont enfin.

Si le passé et l’avenir, brillants enchantements de nos souvenirs ou de notre espérance, lassent le cœur à l’instant où il faut les vivre, les montagnes lassent les muscles de l’homme qui s’obstine à les gravir. Mon avis serait donc, si une fois, un jour, une heure, on se trouvait à peu près bien, de fermer sagement les yeux et de se refuser à rien voir de nouveau.

L’inconnu est l’ennemi du connu, et la douleur est la réaction nécessaire des joies, si la joie est parfois une réaction de la douleur. Rien n’étant stable ici-bas, c’est à l’instant où nous nous sentons heureux que nous devrions craindre pour l’instant qui va suivre.

Au nom d’une loi d’équilibre dont chacun profite à son tour, il n’y a pas de malheur qui ne serve à ceux qu’il n’atteint pas. Hélas ! l’âge nous enseigne générale-