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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

naigre bouillant, puis, de huit en huit jours, on verse dix ou douze litres d’un vin qui a filtré sur des copeaux de hêtre. La température de ces celliers est maintenue très élevée au moyen de calorifères. De temps en temps, on soutire la moitié du vinaigre de chaque tonneau.

Il y a un procédé qui n’exige que trois ou quatre jours ; il consiste à faire écouler trois fois le vin, par un fond criblé de petits trous, dans un tonneau renfermant des copeaux de hêtre rouge ; le vin sort à l’état de vinaigre. Selon la couleur du vin que l’on a employé, on obtient du vinaigre rouge ou blanc ; ce dernier est le plus estimé, mais on peut décolorer le vinaigre rouge en le filtrant par le noir animal.

Ces vins du Loiret, clairs, guillerets, un tantinet acides ne comptent point parmi les meilleurs vins de France. Ils sont pourtant assez recherchés dans le commerce ; coupés avec certains vins du Midi ils donnent un vin qui se boit comme vin d’ordinaire. Quoi qu’il en soit, passables comme vins, ces crus du Loiret fournissent d’excellent vinaigre.

Chaque fois que Jean s’informait auprès des contremaîtres ou des ouvriers, Hans affectait de reculer comme suffoqué par la chaleur des calorifères et l’odeur des émanations des fûts en fermentation. Cherchait-il une occasion favorable de s’enfuir ?

Des Vincent, on en connaissait, parbleu ! mais pas celui que le petit Jean cherchait. Une fois, il se crut sur une bonne piste ; une heure après, il se trouvait déçu.

Vers le soir, dans les celliers d’un des plus importants fabricants — M. Desseaux, s’il nous est permis de le nommer — Jean fut à son tour serré à la gorge par une bouffée d’air chargé d’acidité. Il recula en fermant les yeux, où des picotements amenaient des larmes.

Hans Meister, très attentif, fit un demi-tour et s’esquiva comme un voleur, au grand étonnement d’un groupe d’ouvriers, qui se concertaient entre eux pour satisfaire aux questions du jeune garçon.

— Arrêtez-le ! cria Jean en entendant des pas pressés retentir sur un plancher mobile. Il put ouvrir les yeux, et aperçut l’Allemand déjà à une certaine distance. Arrêtez-le ! répéta-t-il. Il n’a pas son bon sens et il fera un malheur !

Mais cette fois Hans réussissait à gagner au large. Tout à coup, il s’affaissa, subitement se releva, mais avec un cri de douleur : son pied, glissant entre deux planches, il venait de se donner une entorse et faisait la plus laide grimace qui se puisse voir. Deux ouvriers le reçurent, chancelant, dans leurs bras, et le soutinrent.