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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Tarteiffle ! Maintetarteiffle ! jurait l’Allemand, bien plus contrarié d’avoir manqué l’occasion de s’évader qu’il ne souffrait de son pied.

Cependant l’enflure de la cheville augmentait à vue d’oeil.

— Ça ne fait rien, je marcherai, assura Hans Meister, très dur au mal.

Il fit quelques pas en effet, bien qu’avec beaucoup de peine et de contorsions.

Un ouvrier s’approcha :

— S’il voulait, proposa-t-il, je le porterais à bon vinaigre ?

— Assez de vinaigre commença, dit l’Allemand qui ne comprit pas le sens de l’offre qui lui était faite.

— À bon vinaigre… je m’en charge, répéta l’ouvrier. Où demeurez-vous ?

Jean nomma la rue de la Bretonnerie.

— Ce n’est pas déjà si loin !

— Je voudrais une charrette, dit Hans Meister, — une charrette à bras, — avec un petit matelas.

Dans ce quartier des vinaigriers, il n’y avait guère que des haquets. Un jeune garçon joufflu et jovial ouvrit un avis.

— Il y a là, dit-il, en montrant en face une jolie maison bourgeoise, la chaise à porteurs de la vieille baronne morte la semaine dernière. Je me charge de l’obtenir.

Les chaises à porteurs ne sont pas rares à Orléans. Bien des fois, la grand’tante qui se rend à l’église en chaise, croise le vélocipède du petit-neveu : les deux siècles se saluent avec courtoisie.

Le jeune Orléanais, sans attendre de réponse, avait pris lestement les devants ; Hans traversant la rue, le suivit en boitant, tout en disant :

— Ça me va une chaise… avec des porteurs, beaucoup de porteurs. Mais qui les paiera ? ajouta-t-il en poussant un profond soupir.

L’ouvrier vinaigrier qui avait proposé de ramener le blessé « à bon vinaigre », réunit quelques-uns de ses compagnons, gens de bonne volonté dont la journée était finie et qui voyaient poindre une occasion de se divertir.

La nuit arrivait, pas assez obscure encore pour qu’on ne pût distinguer les roses qui enguirlandaient de leurs pétales vernis l’encadrement des portières de l’élégant véhicule, et les amours qui se lutinaient sur le devant de la caisse.

L’Allemand — reconnu pour tel — fut hissé, poussé, assis, très flatté malgré tout de prendre place dans ce meuble de famille qui sentait la poudre à la maréchale. Dans la crainte de le voir changer d’idée, les garçons vinai-