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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

griers s’emparèrent des brancards et imprimèrent à la chaise un terrible mouvement de rotation. Jean devait suivre à pied.

— Au Mail ! au Mail ! crièrent les joyeux compagnons sans plus se préoccuper de l’endroit où demeurait l’Allemand.

— Sans falot pas de plaisir ! observa l’un d’eux.

— Mieux que cela ! s’écria le jeune gaillard qui avait mis la chose en train ; je vais avoir deux torches.

Les porteurs firent semblant de se mettre en route. Pour gagner du temps, ils faisaient six pas en avant et quatre en arrière. Hans Meister commençait à s’impatienter, et il devenait clair pour Jean qu’on voulait s’amuser de l’Allemand.

Tout à coup, deux torches de résine inondèrent cette scène de leurs lueurs rougeâtres. Cette fois, on se mit en route avec les éclats d’une folle gaieté. Les rires et les quolibets amorcèrent une douzaine de galopins qui firent escorte, en entonnant soudain la Marseillaise.

Naturellement, les vinaigriers avaient pris le chemin « le plus beau ». Ils suivaient les quais, marchant aux accents de la chanson patriotique d’un pas cadencé qui secouait l’Allemand. Son entorse lui faisait souffrir mort et passion. Bientôt les porteurs fatigués cédèrent leur place aux premiers venus qui s’offrirent. Ceux-ci, pensant qu’il s’agissait tout simplement de se divertir, ne conservaient plus aucun ménagement. Hans Meister paraissait alternativement à une portière, puis à l’autre, commandant d’arrêter ; mais ses cris suppliants se perdaient dans le bruit et les rires ; on ne voyait que son long nez, sa bouche convulsivement fendue jusqu’aux oreilles, ses yeux égarés, et parfois la contraction des traits causée par la douleur ; et l’air grotesque du patient redoublait la bonne humeur de l’assistance.

— « Mein Gott ! » (mon Dieu !) s’écriait le malheureux, « mein Gott ! » — Et puis, ses jurons à la file, et tarteiffle ! et maintetarteiffle ! et sacrament !

C’est en vain que Jean voulut intervenir : on ne l’entendit même pas.

À tout moment un des porteurs, à bout de forces, tant il riait, lâchait son brancard, et la chaise talonnait sur le sol avec un redoublement de cris de détresse s’échappant de l’intérieur, jusqu’à ce que quelque bon drille vînt remplacer le camarade qui, vaincu, s’esclaffait de rire, se tenant le ventre à deux mains.

Marchons ! Marchons !

hurlait le chœur des galopins, auquel se mêlait maintenant quelque creux de