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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

voilà une rencontre ! Et maintenant le carnet ? qui me le rendra ? la preuve de la loyauté de mon père, l’honneur de mon nom, qui me les rendra !

— Jean ! lui dit doucement miss Kate en lui posant une main sur l’épaule ; êtes-vous malade, cher enfant ?

— Malade, miss ? ah ! j’aurais dû périr là-bas, tantôt. Tenez, vous voyez bien ce malheureux que nous rapportons ? Eh bien, c’est le sergent « bleu » que j’allais chercher au Havre : il est venu au-devant de moi, et au-devant de la mort. Je ne vais plus savoir que faire… je n’ai plus besoin de vivre… je n’ai plus d’avenir, plus de nom, plus d’honneur !!…

— Mon pauvre ami ! murmura la jeune Anglaise.

— Votre ami ? Vous devriez rougir, déjà, de me connaître, mademoiselle.

— Mais, dit vivement miss Kate en élevant la voix, la preuve que vous cherchez, mon enfant, est-elle anéantie par la mort de ce brave marin ?

L’œil de Jean se rouvrit, bien grand ; l’espoir lui revenait.

— Si c’était possible ! fit-il. Vous avez raison, il y a le domicile du Havre, les papiers du défunt, peut-être une famille? qui comprendrait mon chagrin et ne voudrait pas me laisser dans la peine.

— Venez, Jean, venez, ma fille, dit lady Tavistock qui avait assisté muette à une partie de cet entretien.

La bonne dame entraîna le petit Parisien vers l’hôtellerie où se rendait le baronnet et tout son monde, — tandis que le corps de Reculot était transporté à bras, sur une échelle, recouvert d’une voile de bateau, au poste-abri du canot de sauvetage.

Le lendemain de cette fatale journée toute la population maritime de Barfleur se pressait aux obsèques de l’ancien sergent « bleu », bien connu dans le pays pour le dévouement dont il avait fait preuve en maintes circonstances, et un peu aussi par l’originalité de son caractère : le brave Reculot, petit rentier de l’État, et propriétaire d’un joli sloop d’amateur qu’il conduisait lui-même, passait sa vie à l’embouchure de la Seine, sur le littoral du Calvados et de la Manche. Il n’avait quitté la barre de son gouvernail que pour prendre le fusil pendant la guerre, s’était honorablement conduit dans les Vosges, notamment au coup de main du pont de Fontenoy, où le lecteur a fait sa connaissance. Il avait laissé son sloop à Saint-Vaast et se trouvait depuis deux jours à Barfleur, où il était venu à bord de la barque pontée d’un de ses nombreux amis normands.

C’était un digne homme, n’ayant peut-être qu’un défaut : celui de regarder trop souvent avec colère de l’autre côté de la Manche, en montrant le poing