Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
269
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

aux Anglais, et de confondre dans une haine commune les Germains et les Anglo-Saxons.

Que ces quelques lignes lui servent d’oraison funèbre !

De discours, il n’en fut point prononcé sur sa tombe : donner sa vie pour sauver celle de son prochain semblait une trop belle mort à ces braves marins de notre littoral pour que personne songeât à faire valoir la conduite du volontaire de l’Othello. Chacun se borna à asperger d’eau bénite la terre où il reposait, — et tout fut dit. La foule se retira doucement émue…

Mais Jean n’était pas de force à conserver cette impassibilité. Agenouillé devant cette terre fraîchement remuée, il pleurait cet inconnu comme il eût pleuré sur la tombe de son père ; c’est que sa douleur se confondait avec une peine tout aussi douloureuse : l’impossibilité de réhabiliter ce compagnon d’armes du sergent défunt, qui était son père, à lui. Malgré l’espoir un instant ressaisi, grâce aux consolations de miss Kate, Jean revenait à l’idée qu’une fatalité entravait la réussite de son entreprise. C’était insurmontable. Mais jamais il ne pourrait se résigner !

Le père Vent-Debout vint le relever de son abattement.

— Console-toi, mon garçon, lui dit-il ; Reculot ne bourlinguera plus en ce bas monde. Il est mort comme un honnête homme, en faisant son devoir : le voilà ancré dans un fameux refuge, avec le bon Dieu pour capitaine de port. — Amen ! ajouta le vieux marin donnant avec recueillement une approbation à ses propres paroles.

Il ramena Jean auprès du baronnet.

Sir William Tavistock n’avait rien sauvé du Richard Wallace, que son portefeuille — bourré de bank-notes, il faut le dire. Après avoir payé les funérailles du sauveteur et fait un don important à la Société centrale de sauvetage, — qui emploie l’argent qu’elle reçoit en créations nouvelles, — il s’informa de quelques pauvres familles, et lady Tavistock, assistée de ses filles, se fit un devoir de porter à des veuves et à des orphelins les secours d’une charité bien entendue.

Le yacht échoué fut abandonné aux soins d’un constructeur de barques, qui prit à demi l’engagement de le renflouer si la mer redevenait calme bientôt.

Renseignements pris sur le sauveteur décédé, il demeurait à Ingouville, faubourg du Havre, à mi-chemin de Sainte-Adresse. On ne lui connaissait point de parents ; une femme très âgée, — sa nourrice — vivait auprès de lui.