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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Le batteur de caisse exécutait à son oreille des flas et des ras si multipliés, si fantastiques que Jean leva les yeux. Quelle ne fut pas sa stupeur en reconnaissant, affublé de la casaque rayée des pitres, Hans Meister ! L’Allemand louchait plus fort que jamais, et grimaçait affreusement pour mieux tenir son emploi et amuser le public, ce à quoi il réussissait pleinement.

La représentation allait commencer. Jean s’approcha.

Un monsieur en tenue correcte se montra sur l’estrade, — chapeau noir haut de forme — auquel il porta la main très poliment. C’était M. Marseille junior : Jean se trouvait devant la loge des célèbres frères Marseille.

M. Marseille fit son boniment. Il disait beaucoup de choses. Jean retint ceci : « Mesdames et messieurs, vous allez voir les hercules les plus extraordinaires, les pugilistes les plus adroits, les seuls qui possèdent les traditions de la lutte à main plate : Pierre l’Auvergnat, Laurent de Paris, le Nègre Abdoul, Ratata, le Cuirassier, François et Louis le Bordelais. Ici pas de lutteurs de carton… je les casse impitoyablement aux gages !… » Puis le maître fit appel aux hommes de bonne volonté qui voudraient s’essayer avec ses lutteurs.

— Allons, zou ! criait-il, en place pour la contredanse. Je jette le gant, qui aura le courage de le relever ?

Brutalement, un homme à la carrure puissante fendit la foule, culbutant ceux qui lui faisaient obstacle. Il ramassa le gant, et faillit dans ce mouvement écraser le petit Parisien.

Celui-ci poussa un cri de protestation. L’amateur de lutte se retourna et dit :

— Tiens ! c’est toi, Jean ? D’où diable sors-tu ?

Jean interdit se trouvait en face de Jacob Risler.

— Place ! ajouta le colosse, sans attendre de réponse.

Et il gravit les degrés qui conduisaient à l’intérieur de la loge.

Jean ne vit plus rien — ni la jeune fille en rose, ni l’Allemand batteur de tambour. Il courut d’une traite jusqu’à Ingouville, jusqu’à la maison de l’ancien sergent « bleu ».

Il entra. La vieille nourrice se trouvait là, sommeillant sur une grande chaise, devant la fenêtre, d’où l’on voyait la mer étincelante sous le soleil.

— Il est mort ! cria Jean sans aucune préparation.

— Hé là ! fit la bonne femme. Mon pauvre « enfant !… » Noyé ? noyé, ben sûr ? J’aurais dû m’en douter.

— Pourquoi, madame ? demanda Jean.