Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

La grande ville maritime se rapprochait sensiblement, se développant dans un immense panorama.

C’était le cap de la Hève, dont le front gigantesque surmonté de ses deux phares paraît armé, le jour, de deux cornes de granit, et, la nuit semble ouvrir deux yeux de feu ; c’étaient les coteaux d’Ingouville et de Graville, garnis de frais ombrages au milieu desquels se groupent mille pavillons élégants, d’une architecture capricieuse.

À mesure que le brick avançait l’œil atteignait jusqu’à l’horizon limité vers le nord-est par la citadelle, la plaine de l’Eure, les bassins qui représentent l’aspect commercial du Havre, et où la fumée des usines s’enroule en volutes autour des vergues et des mâts des bâtiments marchands amarrés dans le port. Au centre d’un vaste circuit, le lit de la Seine, large de trois lieues, s’encadrait des collines d’Orcher à droite, et des coteaux d’Harfleur à gauche. Des navires grands et petits pénétraient entre les deux jetées, ou sortaient du port voiles déployées.

Après Constantinople, il n’est rien de si beau !


a dit Casimir Delavigne de ce merveilleux tableau, si plein d’animation.

Mais nous avons hâte de vérifier les espérances du pauvre Jean, — tout autant que lui. Il n’avait pas perdu beaucoup de temps au débarqué pour se diriger vers Ingouville. Sur une large place, entre la ville et le faubourg, une sorte de fête foraine avait réuni les baraques de toile de plusieurs saltimbanques.

Mais Jean passait sans s’arrêter — ce petit Parisien, si flâneur par habitude et par tempérament ! Il devait lui en coûter. Tout à coup, devant des tréteaux, il suspend sa marche : une toute jeune fille en jupon de gaze rose pailletée, faisait des révérences et envoyait des baisers aux badauds réunis autour de la baraque et assourdis par l’infernale batterie de tambour de la loge contiguë où l’on donnait aussi la parade. Là, sept ou huit hercules en maillot — et parmi eux un nègre — alignaient leurs torses et faisaient saillir leur biceps.

Pourquoi Jean regardait-il avec tant d’attention cette jeune fille ? C’est qu’il trouvait en elle une ressemblance frappante avec les portraits de la fillette enlevée à la baronne du Vergier, une ressemblance très grande aussi avec son ami Maurice. Était-ce effet du hasard ? Son esprit troublé par les derniers événements ne l’égarait-il pas ? Il tira de sa poche les photographies et établit des comparaisons qui justifiaient son impression première.