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LES AVENTURIERS DE LA MER


navire étant abandonné à lui-même, les flammes poussées par le vent couvrirent bientôt le pont dans toute sa longueur. Après avoir léché les voiles, elles en firent leur proie ; de hautes gerbes rouges illuminaient les flots et s’élançaient jusque dans les nuages.

Effrayé par les cris des femmes, les hurlements des malheureux qui entrevoyaient une mort prochaine et atroce, le capitaine Elmslie avait perdu la tête. D’ailleurs personne n’eût été en état de le seconder, de lui obéir. On met une chaloupe à la mer ; les émigrants s’y précipitent en si grand nombre que la chaloupe est aussitôt submergée. Toutefois, un bateau de sauvetage put s’éloigner en emportant une quarantaine de personnes.

Pendant ce temps, les mâts tombaient successivement, concourant à l’œuvre de mort en écrasant dans leur chute plusieurs des malheureux qui se pressaient sur le pont du navire en flammes.

Une autre embarcation put prendre la mer et recueillir à son bord plusieurs naufragés qui se débattaient sur l’eau contre la mort ; mais cette embarcation et le bateau de sauvetage n’avaient ni vivres ni eau, point d’avirons, pas de voiles. Pendant toute la journée, les deux bateaux, contenant ensemble quatre-vingt-une personnes, errèrent autour du navire embrasé devenu un ponton carbonisé, semblable à un immense cercueil flottant.

Enfin les lugubres restes du Cospatrick coulèrent bas, entraînant encore quelques malheureuses créatures qui avaient pu vivre jusqu’à la fin. En cet instant suprême, on vit le capitaine jeter sa femme à la mer, seule et dérisoire chance de salut qu’il pût encore lui offrir ; lui-même sauta dans les flots et disparut sans qu’on pût lui porter secours.

Le Cospatrick avait sombré ; les cris, les gémissements cessèrent, la grande mer poursuivit sa marche en longues vagues alignées… et tout fut dit. Alors les embarcations durent songer à se diriger vers la terre, sans trop espérer d’avoir la bonne fortune de rencontrer un navire. Au nord-est se trouvait le cap de Bonne-Espérance ; mais il s’agissait de l’atteindre, sans vivres, sans eau, — et même sans moyens de navigation.

Les deux embarcations voguèrent d’abord de conserve ; un coup de vent les sépara. On n’eut jamais de nouvelles du canot. Quant au bateau de sauvetage, défalcation faite des victimes que firent la faim, la soif, le délire, l’eau de mer bue à la dernière extrémité, la folie, un na-