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LES AVENTURIERS DE LA MER


glissant comme un miroir. L’équipage entier faisait des efforts surhumains pour diriger le steamer malgré la terrible tempête ; mais une voie d’eau s’était ouverte ; l’eau gagnait sensiblement, malgré le jeu des pompes.

Le Killarney roulait, penché sur un côté, le pont demeurant très incliné. La mer frappait dessus continuellement, attaquait les tambours, brisait les palettes des roues ; et les passagers en étaient réduits à ramper sur les mains et sur les genoux : ils poussaient des cris affreux ! Le docteur, après avoir pénétré dans la chambre de la machine, put, en remontant sur le pont, dire aux passagers : « Courage, mes amis, les eaux n’envahissent pas tout ; les feux sont rallumés, et bientôt nous allons avoir la vapeur à nos ordres : rien n’est désespéré ! »

En ce moment le lieutenant Nicolay cria : « terre » ! et tous les cœurs battirent de joie à cette bienheureuse nouvelle. Cependant personne ne put dire au juste quelle terre était en vue. Quelqu’un nomma le cap Poor, d’autres Kinsal, d’autres affirmaient reconnaître le port de Cork. Malheureusement, le navire n’était pas facile à diriger. Le capitaine redoubla d’énergie, l’équipage fit de nouveaux efforts pour atteindre un refuge ; mais cela fut au-dessus de leur pouvoir. La nuit venait ; les voiles ayant été hachées par la tempête, et de nouveau les feux des machines éteints par l’eau, il fallut se résigner et attendre…

Vers trois heures du matin environ, le navire dérivé, près d’un rocher qui émergeait, versait tout entier sur le flanc. Il était évident que la crise fatale approchait : le Killarney avait touché et commençait à se briser : chaque lame enlevait quelque chose de ses parties vives. Tout le monde se porta du côté où un refuge de quelques instants pouvait être utilisé dans l’horreur de cette situation. Des cris d’épouvante sortaient de toutes les poitrines.

Tout à coup un craquement formidable se fit entendre, accompagné de secousses violentes, le navire s’entr’ouvrait ; l’eau l’envahissait… Un matelot cria, dominant la tempête : « Nous sommes perdus ! » Cette voix répondait à la pensée de tous. Une vague pesante vint s’abattre contre un des tambours, balayant deux hommes sur son passage ; une seconde lame enleva le pauvre lieutenant Nicolay. Une scène lugubre se préparait, horrible et poignante. Les cris d’appel se croisaient, les adieux s’échangeaient. Les plus terrifiés se précipitaient dans la mer