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LES AVENTURIERS DE LA MER


Selkirk finit par acquérir une si merveilleuse agilité, que cette chasse périlleuse ne fut plus qu’un jeu pour lui ; il lui arriva souvent, après avoir pris une chèvre, de la marquer à l’oreille, et de la relâcher, pour avoir le plaisir de la rattraper une autre fois.

D’autres occupations apportaient encore une amélioration matérielle à sa position. Les Européens qui, les premiers, étaient venus dans l’île, y avaient semé quelques légumes et planté des choux palmistes ; Selkirk reprit ces cultures et améliora ainsi son régime… Pour se délivrer du voisinage importun des rats qui rongeaient ce que contenait sa hutte, et dévoraient ses provisions, il se mit à apprivoiser de jeunes chats.

Il se procurait du feu à la manière des sauvages, en frottant l’un contre l’autre deux morceaux de bois résineux.

Le marin écossais ayant réussi à pourvoir aux exigences les plus impérieuses de la vie matérielle, chercha un soulagement à son isolement dans la lecture et la méditation. La Bible lui fut d’un grand réconfort. Il travailla à son perfectionnement moral, apprit la patience, la résignation, le sacrifice… Par l’opiniâtreté de sa volonté, il s’élevait peu à peu de l’état de nature où il était subitement tombé, à un degré de perfection qu’il n’avait jamais connu dans le désarroi et la turbulence de sa vie de marin. Grandi à ses yeux et fier de lui-même, il se sentait de force maintenant à braver cette solitude écrasante.

Un jour, un navire espagnol aborda à Juan-Fernandez ; d’abord Selkirk se cacha dans les bois, résolu à ne rien changer à son état. Comme il l’avoua plus tard, il craignait aussi que les Espagnols ne l’envoyassent dans leurs « présidios », où ils internaient leurs soldats déserteurs, les malfaiteurs et les vagabonds. Cependant, la vue de ses semblables produisit sur lui une impression qui vainquit raisonnements et craintes : il se montra donc sur la lisière du bois ; mais les Espagnols, effrayés de cette étrange apparition, lui tirèrent quelques coups de fusil qui l’obligèrent à se cacher de nouveau.

Quatre ans et trois mois s’étaient écoulés, et Selkirk prenait son parti d’être séparé à tout jamais du reste des vivants, lorsqu’un libérateur lui arriva. Woode Rogers et Dampier croisaient alors sur les côtes du Chili, avec deux corsaires, le Duc et la Duchesse, de Bristol. Le 1er février 1709, ils abordèrent à Juan-Fernandez, et Selkirk se rendit à eux ; Dampier, qui l’avait connu autrefois, intervint en sa faveur, et détermina Woode Rogers à le recevoir à son bord.