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LES AVENTURIERS DE LA MER


folie. Alors, dit le narrateur, l’un tuait l’autre par surprise, et coupait les morceaux de sa chair, les faisait cuire sur des charbons et les dévorait avidement.

On s’aperçut que le nombre des hommes diminuait ; mais les officiers ne savaient à quoi attribuer leur absence. Un jour l’un d’eux, forcé aussi de chercher quelque aliment pour assouvir sa faim, sentit une odeur de viande grillée ; il découvrit un matelot anglais qui préparait son repas. L’officier crut d’abord que cet homme avait tué une pièce de gibier ; il lui reprocha, en termes fort durs, de laisser périr les autres de besoin, tandis qu’il semblait être dans l’abondance.

— Eh bien ! apprenez donc, dit le matelot, que cette chair est un morceau de la cuisse d’un de nos malheureux compagnons.

Le rapport en ayant été fait au capitaine, il comprit ce que les hommes qui lui manquaient étaient devenus ; il les croyait dévorés par les animaux féroces, ou tués par les indigènes. Enfin la famine augmentant toujours, on chercha à enlever à ces pratiques de cannibalisme quelque chose de leur odieux en leur donnant un semblant de légalité. Il fut décidé que le sort désignerait successivement ceux qui devaient être sacrifiés pour la conservation de tous. Heureusement ce même jour arriva un bâtiment français bien pourvu de vivres ; les Anglais, usant de ruse, s’en rendirent maîtres ; ils changèrent de navire avec les nouveaux arrivés, et, par un reste de pudeur, leur laissant quelques vivres, ils mirent à la voile, pour l’Angleterre.

Depuis la mission Greeley, un autre fait de cannibalisme a eu un immense retentissement. C’était à la suite du naufrage du navire anglais la Mignonnette. Les naufragés tuèrent et dévorèrent un de leurs compagnons, le mousse Packer. Voici la scène du meurtre de cet infortuné, telle que le capitaine Dudley la raconta à son arrivée à Londres :

« Le onzième jour après le naufrage nous avions fini la tortue ; il ne nous restait que les deux boîtes de navets, et nous n’eûmes que le peu d’eau que nous pûmes à grand’peine recueillir pendant quelques orages. Du quinzième au vingtième jour, nous demeurâmes sans nourriture et sans boisson. C’est alors que nous commençâmes à nous regarder les uns les autres avec défiance. Le mousse qui avait bu de l’eau de mer pendant la nuit, s’écria :

« — Nous allons tous mourir ! »

« Sur quoi je fis la proposition de tirer au sort ; mais cette proposition fut repoussée. Mieux vaut mourir ensemble. — Soit ! mais il est