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M. INGRES À ROME.

ordinaire, sa tête devenait belle, et je ne pouvais le regarder sans une vraie admiration.

Huit jours après cette soirée, nous étions invités à dîner à l’Académie.

Ce dîner fort étrange devint intéressant seulement vers la fin.

À peine le rôti servi, je compris que quelque chose d’extraordinaire venait de se passer, à la figure de M. Ingres, à ses tournoiements sur sa chaise, à son tapotement de doigts sur la table. Puis, il ne mangeait plus, et jetait sur madame Ingres des regards furieux, qui finissaient en sourires, quand il pensait qu’on pouvait s’en apercevoir ; madame Ingres impassible, et nous tous consternés, moi surtout, qui, en élève soumis, craignais d’avoir été cause, par quelque parole inconsidérée, d’un état si étrange.

Un mot échappé à un convive mit fin à cette position et changea le cours des idées de M. Ingres.

« Je ne peux pas comprendre, avait dit cette personne, qu’on admire Watteau et qu’on prononce même son nom ici.

— Comment ! s’écria M. Ingres ; savez-vous, Monsieur, que Watteau est un très-grand peintre ! Connaissez-vous son œuvre ? C’est immense… J’ai tout Watteau chez moi, moi, Monsieur, et je le consulte… Watteau ! Watteau !… »