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qui se dévouent ; c’est ce qui a dû serrer le plus souvent le cœur du Fils de l’homme, et si Dieu pouvait souffrir, c’est la blessure que nous devons lui faire, et tous les jours. Lui aussi, lui surtout, est le grand méconnu ; le souverainement incompris. Hélas ! hélas ! Ne pas se lasser, ne pas se refroidir, être patient, sympathique, bienveillant ; épier la fleur qui naît et le cœur qui s’ouvre ; toujours espérer, comme Dieu ; toujours aimer, c’est là le devoir.


XVI. — LA PART DU MYSTÈRE.


La Nuit est la mère du monde. Tout ce qui est sort d’elle, et ses flancs contiennent les germes de tout ce qui sera. Au-dessous de l’univers visible et manifesté, où les êtres réels accomplissent, dans la joie ou la douleur, le drame éclatant de leurs destinées, s’agite confusément un autre univers, que n’éclaire et ne réchauffe aucun soleil, abîme sombre, morne, intérieur, infini, où pullulent des larves innombrables, substances aveugles et inquiètes qui aspirent ardemment à la forme et à la manifestation, mais qui ne peuvent, c’est leur loi, franchir les portes du noir royaume, voir la lumière désirée et vivre, qu’après avoir grandi longtemps dans le sein obscur du chaos. Cette région funèbre et souterraine, ce royaume de l’attente et des soupirs, ce sont les Limbes de la nature, et ce stage dans les Limbes, noviciat imposé à tout ce qui veut naître, c’est la période fœtale de chaque être. Ainsi le premier berceau de toute existence est la nuit. Vois la