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caractère. Il fourbit admirablement la sentence, il burine en perfection le détail et le vers, mais il n’invente guère que la forme. Prodigieux dans la miniature, d’un talent merveilleusement preste et délié, sa poésie reste néanmoins une grâce et ne devient pas une puissance. Elle a quelque chose de factice ; on y sent la création d’emprunt, le fini des œuvres de seconde main. J’aime mieux Béranger, avec lequel il offre des rapports, mais qui a plus de cœur que lui. Voilà bien le mot : Horace manque un peu de cœur. Or la sensibilité est la première qualité du poète. L’imagination, le style, l’art, ne viennent qu’après.

Avec toutes leurs beautés, les poètes anciens ne peuvent décidément pas nous suffire. Il leur manque un sens, le sens des modernes, le sens spirituel, le sens de l’infini. Leurs horizons nous étouffent, leur morale nous est trop mesquine ; ils n’ont rien à dire à nos besoins les plus pressants, les plus sérieux, les plus poétiques. Leur homme n’est plus le nôtre. On reconnaît que le monde a changé, qu’un rideau a été tiré. Leur homme n’est pas devenu faux, mais il est incomplet il n’est qu’une partie de l’homme de nos jours. Il se retrouve tout entier en nous, mais non pas nous tout entiers en lui. En un mot, l’homme moderne et sa poésie renferment l’homme et la poésie antiques et les débordent. D’eux à nous, il y a eu métamorphose ascendante.

LXII. — ŒUVRES COMPLÈTES DE MONTESQUIEU.

Je viens de les feuilleter et ne puis rendre en-