Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 156 —

mocratique ? N’est-ce pas acheter trop cher le bien-être général que de le payer à ce prix ? La création que nous voyons d’abord tendre à dégager perpétuellement et à multiplier sans limite les différences, reviendrait-elle ensuite sur ses pas pour les faire disparaître une à une ? et l’égalité qui, à l’origine des existences, est encore l’inertie, la torpeur, la mort, deviendrait-elle à la fin la forme naturelle de la vie ? Ou bien, au-dessus de l’égalité économique et politique à laquelle aspire, en la prenant trop souvent pour le terme de ses efforts, la démocratie socialiste et non socialiste, se formera-t-il un nouveau royaume de l’esprit, une église de refuge, une république des âmes, dans laquelle, bien au delà du pur droit et de la sordide utilité, la beauté, le dévouement, la sainteté, l’héroïsme, l’enthousiasme, l’extraordinaire, l’infini, auront un culte et une cité ?

Le matérialisme utilitaire, le bien-être aride et symétrique, l’idolâtrie nauséabonde de la chair et du moi, du temporel et de Mammon, sont-ils toute la récompense promise aux labeurs de notre race ? Je ne le crois pas. L’humanité-ruche et la société-manufacture sont un triste idéal, et l’idéal ne saurait être triste, car c’est la pensée de Dieu sur les choses. — Nous passerons par la ruche, mais nous n’y resterons pas. (1850.)

LXXX. — CRITERIUM.

La pierre de touche de tout système religieux ou politique ou pédagogique, c’est l’homme qu’il