Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 167 —

sitive, seule parfaitement réelle est la conscience : le monde n’est qu’un feu d’artifice, une fantasmagorie sublime destinée à égayer l’âme et à la former.

Ces moments sont plus ou moins rares suivant les individus et leur tendance au recueillement. C’est dans les douces langueurs de la convalescence, au printemps quand la nature aussi semble renaître à la vie, la nuit entre deux sommeils, qu’ils se présentent le plus souvent. Ces instants sont augustes ; ils sont le tête-à-tête de l’homme avec l’infini et l’éternel.

Il se fait alors en nous un grand silence. Effrayant comme le calme de l’Océan qui laisse plonger le regard en ses abîmes insondables, ainsi le silence de la vie nous laisse voir en nous des profondeurs à donner le vertige, des besoins inextinguibles, des trésors de souffrance et de regret. Viennent les tempêtes ! est-on tenté de s’écrier, elles agitent moins la surface de ces ondes aux secrets terribles. Soufflent les passions ! en soulevant les vagues de l’âme elles en voilent au moins les gouffres sans fond. — À nous tous, enfants de la poudre, fils du temps, l’éternité inspire une involontaire angoisse et l’infini une mystérieuse épouvante. Il nous semble entrer dans le royaume de la mort.

Pauvre cœur, tu veux de la vie et tu as raison, après tout, car la vie est sacrée. Mais rassure-toi, et raffermis-toi. Écoute la voix austère et douce qui parle dans ce silence ; elle descend d’un monde qui est aussi le tien, quoique tu ne le connaisses