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sont sacrées. Le semeur qui jette le grain, le père ou la mère qui jette la parole féconde, accomplissent un acte de pontife et ne devraient le faire qu’avec religion, avec prière et gravité, car ils travaillent au règne de Dieu. Toute semaille est une chose mystérieuse, qu’elle tombe dans le sol ou dans les âmes. L’homme est un colon ; toute son œuvre, à la bien prendre, est de développer la vie, de la semer partout ; c’est la mission de l’humanité, et cette mission est divine. Son grand moyen est la parole. Nous oublions trop souvent que le langage est à la fois un ensemencement et une révélation. L’influence d’un mot, dit à son heure, n’est-elle pas incalculable ? O la parole ! chose profonde, mais nous sommes obtus, parce que nous sommes charnels. Nous voyons les pierres et les arbres du chemin, les meubles de nos maisons, tout ce qui est chose et matière ; nous ne distinguons pas les phalanges des idées invisibles qui peuplent l’air et battent perpétuellement de l’aile autour de chacun de nous.

CXVI. — LA JUSTESSE.

L’habitude du vague, dans la pensée ou dans l’action, émousse toutes les facultés et engourdit tous les ressorts. Il faut vouloir avec décision, repousser avec fermeté, ordonner catégoriquement, regarder en face, exprimer avec exactitude. Cette attention vive, cette droiture du regard et de la résolution, est une immense économie de vie et de temps. Elle donne à l’esprit une vigueur peu commune. L’à-