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ciennes républiques, nous seuls mettons ainsi la main sur notre liberté. Cependant la plus douce contrainte est encore de trop dans la sphère du sentiment. La reconnaissance force, il est vrai, l’affection, mais l’affection n’est entière et parfaite que lorsqu’elle n’a plus un seul élément de résignation et que cette captivité du cœur, déjà doucement consentie, devient gaie, désirable et désirée.

CLI. — LA CONTRADICTION INAPERÇUE.

Le bonheur, tel qu’on l’entend d’ordinaire, est la satisfaction de tous les besoins et de tous les désirs ; or cette satisfaction n’est pas le bonheur, mais le dégoût. Une ligne suffit à énoncer cette contradiction ; toute la vie ne suffit pas à la plupart des hommes pour la reconnaître. Une mère mène loin son enfant avec un morceau de sucre ; la Providence fait l’histoire universelle avec cette illusion.

CLII — SACRIFICES NÉCESSAIRES.

À un grand dessein il faut savoir faire le sacrifice de mille bonnes petites choses ; l’éléphant qui veut franchir les jongles doit écraser bien des fleurs. Pour construire une pyramide, Chéops[sic] doit renoncer à élever des centaines de kiosques, de cabanes, même de maisons et de palais. Toute grande œuvre, comme le palais de Tamerlan, repose sur des monceaux de morts : ces morts, ce sont les rébellions exterminées par le glaive ; les