Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/3

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Mais les scènes violentes se sont réfléchies dans son imagination jeune et rêveuse avec les teintes de la mélancolie. Il a pris son livre préféré, un livre anglais plein de méditations sur les tombeaux, et il s’en est allé le long de la Seine, sous les arbres du Cours-la-Reine, vers la maison blanche, où nuit et jour va sa pensée. Tout est calme autour de lui. Il voit sur la berge des pêcheurs à la ligne, assis, les pieds dans l’eau ; il sourit en pensant qu’ils prennent des goujons le 14 juillet 1789, et il suit en rêvant le cours de la rivière. Parvenu aux premières rampes des collines de Chaillot, il rencontre une patrouille qui surveille les communications entre Paris et Versailles. Cette troupe, armée de fusils, de mousquets, de hallebardes, est composée d’artisans portant le tablier de serge ou de cuir, d’hommes de loi de noir vêtus, d’un prêtre et d’un géant barbu, en chemise, nu-jambes. Ils arrêtent quiconque veut passer : on a surpris des intelligences entre le gouverneur de la Bastille et la cour ; on craint une surprise.

Mais le promeneur est jeune et son air ingénu. Les amoureux sont marqués d’un signe : ils ont une douceur obstinée qui fait tomber tous les obstacles. Celui ci dit à peine quelques mots et la troupe le laisse passer en souriant. Il entre dans le village et s’arrête à mi-côte devant la grille d’un jardin.

Ce jardin est petit, mais des allées sinueuses, des plis de terrain, en prolongent la promenade. Des saules trempent le bout de leurs branches dans un bassin où nagent des canards. À l’angle de la rue, sur un tertre, s’élève une gloriette légère et une pelouse fraîche s’étend de-