Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/34

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— Où vas-tu, citoyenne, lui demanda un porteur de carmagnole qui montait à la porte une faction volontaire ?

— Citoyen, je me rends dans la salle où l’on juge Duvernay : je suis témoin.

Il la laissa passer ; mais une horrible femme qui tenait un enfant dans ses bras cria qu’on ne devait pas laisser approcher des juges les femmes aristocrates capables de les corrompre.

— Celle-ci, disait la tricoteuse, montrera son visage, ses larmes ; elle se pâmera, et elle fera tourner la tête à tout le tribunal. Ces gueuses font des hommes tout ce qu’elles veulent. Et voilà comment on arrête la justice et comment on sauve tous les j…-f… qui affament le peuple.

Les cris de cette femme firent le tour de la place et y ranimèrent la peur et la haine.

— Hélas ! disait-on de toutes parts, nous n’avons plus Marat ; nous avons perdu notre ami. Depuis que les méchans l’ont tué, les aristocrates relèvent la tête. Mais ils ont beau faire, il faudra bien qu’ils la crachent au panier. À mort, les conspirateurs ! À la guillotine, les ennemis du peuple ! Duvernay, à la guillotine ! Les enjôleuses, les faux témoins, les aristocrates, à la guillotine !

Marcel parcourait les groupes, inquiet, tâtant le couteau caché sous sa chemise.

L’affaire Jean Duvernay était appelée, l’interrogatoire commencé ; d’instant en instant, le peuple apprenait par l’intermédiaire des citoyens présens dans la salle, des épisodes grossièrement altérés, et qui allaient, se déformant de bouche