Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/52

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Pourtant Marcel fréquenta pendant trois jours ce cabaret sans pouvoir se faire un autre ami que Ravage. Le porte-clefs acceptait bien un verre de vin blanc, mais sa mine n’encourageait pas du tout les confidences. C’était un homme simple, bourru, probe et tout à fait résolu à faire honnêtement son métier, qui lui semblait le plus beau, le plus digne d’envie.

Marcel était désespéré. Il passait de longues heures de la nuit dans les champs du faubourg à contempler les fenêtres bouchées aux trois quarts du quartier des femmes. Et, chaque jour, il revenait fumer des pipes de tabac dans le cabaret de la rue d’Enfer.

Un soir, pendant son souper, il fut attentif, malgré son inquiétude, aux propos de deux amoureux assis sur un banc à côté de lui.

— Tu sais bien que je t’aime, Florentin, disait la jeune fille.

— Eh bien, Rose, puisque nous nous aimons, épousons-nous, répondait le jeune homme, qui semblait aussi jeune qu’elle et portait l’habit de velours des commissionnaires.

— Tu sais bien, disait Rose en baissant les yeux, que papa ne veut pas ; il dit que tu es trop jeune et que nous serions trop pauvres.

— Rose, ton père, qui est porte-clefs, pourrait bien me faire nommer gardien. Alors nous serions assez riches.

— Florentin, mon père ne nomme pas les gardiens de la prison, et s’il les nommait, il ne te choisirait pas, parce qu’il n’a pas d’amitié pour toi.